Rita STROHL, « Titus et Bérénice »

 

CHOC de CLASSICA ◊ février 2018 ◊ Jacques Bonnaure ◊

 

« … On a là un magnifique exemple de musique post-romantique à la française, et l’on se demande comment un tel chef-d’œuvre, enregistré en première mondiale, a pu rester dans l’ombre : il vaut largement les sonates de Fauré, Saint-Saëns ou Magnard […] Laurent Martin, qui a souvent fait œuvre de défricheur, s’est associé à Aude Pivôt, une jeune violoncelliste de très haut niveau, dont le jeu intense et le timbre personnel et prenant servent bien la sensibilité survoltée de la musique de Rita Strohl, d’exécution délicate, avec de nombreux passages très tendus dans le registre aigu de l’instrument et d’amples développements dramatiques. De même, les interprètes savent montrer toute la singularité et la modernité d’Onslow, et réalisent un formidable doublé. »

  Aude Pivôt & Laurent Martin © Eric Baratin

Titus & Bérénice

Sonate dramatique pour piano et violoncelle de Rita STROHL

 

Laurent MARTIN, 2017

 

Rita STROHL est née en Bretagne à Lorient le 8 juillet 1865 dans un milieu très ouvert aux arts. Son père, Jules La Villette, était un bon violoncelliste amateur, sa mère et sa tante étaient réputées comme peintres et son grand-père était maître de danse à Rennes. Elle se fera remarquer au Conservatoire national de Musique de Paris où elle était entrée dans la classe de piano de Le Couppey par son esprit indépendant (comme une vingtaine d’année plus tard Blanche Selva), ira prendre des cours de composition et de chant en dehors de l’institution auprès du couple Barthe et jouera pour ses examens de fin d’année des morceaux de sa composition.

Mariée en 1888 au lieutenant de vaisseau Émile Strohl qui l’encouragera dans son art, elle se retrouvera veuve 12 ans plus tard avec plusieurs enfants mais rien ne l’arrêtera dans son activité créatrice.

Elle se remariera en 1908, et son nouvel époux, René Billa, pianiste et admirateur de Wagner, plus tard connu pour ses créations de maître verrier sous le nom de Richard Burgstahl (on peut admirer ses vitraux en l’Abbaye de Fontfroide près de Béziers) l’accompagnera dans ses projets les plus fous, comme la construction en 1912 d’un petit Bayreuth près de Paris, à Bièvres, dans le but d’y faire jouer ses grandes fresques dramatiques, un grand cycle Chrétien commencé en 1905, un cycle Celtique en 1910 et un cycle Hindou en 1923. Mais  « La Grange » de Bièvres ne survivra pas aux épreuves de la guerre de 1914, puis aux crises économiques.

Son catalogue est très important, œuvres pour voix et piano, voix et orchestre, musique pour piano, musique de chambre et musique d’orchestre. Malheureusement, sur plus de quarante créations allant du cycle de mélodies aux grandes épopées dramatiques, seules quelques pièces pour piano et de musique de chambre, deux symphonies et une vingtaine de mélodies ont été éditées en leur temps et ne sont pas facilement accessibles. L’essentiel est manuscrit et d’accès également compliqué.

J’ai eu connaissance de la sonate Titus et Bérénice vers 2005 grâce à la jeune musicologue Sylvie Le Coz-Goni qui m’a fourni aussi très généreusement des renseignements biographiques et je la remercie très sincèrement. Comme je n’avais pas le temps d’aborder comme pianiste cette œuvre magnifique mais très exigeante,  j’ai proposé cette sonate en dix ans à trois excellents violoncellistes dont l’un n’a pas été intéressé, et les deux autres l’ont jouée, mais n’ont pas prolongé cette découverte par un enregistrement. J’ai donc décidé, en 2016, de lui donner une nouvelle chance avec la talentueuse violoncelliste Aude Pivôt qui n’a pas hésité à affronter cette fresque passionnante et fascinante.

Publiée en 1898, cette sonate est inspirée par la pièce de Racine, Bérénice.

En introduction, Rita Strohl propose un extrait de la préface de Racine :

« TITUS, qui aimait passionnément BÉRÉNICE et qui même, à ce qu’on croyait, lui avait proposé de l’épouser, la renvoya de Rome, malgré lui et malgré elle, dès les premiers jours de son empire. Cette action est très fameuse dans l’histoire. »

Ensuite, chacun de ses mouvements est précédé d’un petit texte.

Premier mouvement Allegro Moderato :

Incertitude de TITUS… passion… espoir de fléchir Rome qui
« Par une loi qui ne se peut changer,
« N’admet avec son sang aucun sang étranger.

 

Débutant par les trémolos du piano auxquels va se joindre le beau récitatif du violoncelle, ceux-ci vont exprimer la passion débordante qui sera présente tout au long de la sonate, tantôt lyrique et vibrante, tantôt sous la forme d’une course effrénée à l’abîme. La lutte entre les sentiments exacerbés et la loi se traduira par des contrastes violents et des ruptures soudaines momentanément apaisées dans les dernières mesures du mouvement.

Deuxième mouvement Vivace :

Appartements de Bérénice. Ses femmes par leurs chants et leurs danses s’efforcent de la distraire.

 

Sous la forme d’un Scherzo mendelssohnien, les 2 instruments vont dialoguer pour éloigner la crise qui approche. Virtuosité, légèreté, élégance. Au milieu, une belle intervention du piano apaise l’atmosphère un peu nerveuse mais la course ailée reprend jusqu’à la pirouette conclusive.

Troisième mouvement Lento :

BÉRÉNICE sait tout, TITUS, malgré son amour, la sacrifie à l’empire ; 
Bérénice « Je m’agite, je cours, languissante , abattue
                « La force m’abandonne et le repos me tue

 

Une longue lamentation d’une force inouïe, un chemin de croix qui s’amplifie puis retombe, et à la fin, un coup de poignard déchirant.

Quatrième mouvement : Allegro Molto Movimento :

Le terrible moment approche, la séparation s’accomplira
Scène d’amour, … déchirements…
 
TITUS « Ce jour surpasse tout, jamais je le confesse
            « Vous ne fûtes aimée avec tant de tendresse 
            « Et jamais… 
BÉRÉNICE « Vous m’aimez, vous me le soutenez 
             « Et cependant je pars, et vous me l’ordonnez
               …………………………………………………….
             « Ah ! Cruel ! Montrez-moi moins d’amour !

Le drame atteint son paroxysme et l’écriture musicale l’exprime à la perfection par une tension  sans relâche, des vagues incessantes toujours plus violentes, les hurlements de la souffrance amoureuse  qui n’en finit pas. Une conclusion implacable.

Cette sonate est totalement romantique par sa passion débordante , par l’utilisation maximale des instruments poussés dans leurs retranchements, par une énergie qui emporte tout sur son passage. Elle est bien du temps des grandes héroïnes comme Carmen, Brünhilde ou Salomé et bien d’autres. Et il est grand temps que l’on retrouve l’oeuvre de Rita Strohl !  

Rita Strohl a écrit également en 1887 une belle pièce de genre (salon ou bis) : SOLITUDE-Rêverie, belle cantilène commentée par la compositrice : « doux, avec un grand sentiment de tristesse ».  

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George ONSLOW

Sonate pour violoncelle et piano, opus 16 no 2

 

George ONSLOW est maintenant reconnu comme le représentant de la Musique de Chambre en France  au début du 19ème siècle. Né à Clermont-Ferrand en 1784, d’un père anglais et d’une mère auvergnate de milieu aristocratique, il était le petit-fils de Lord ONSLOW. Le milieu était favorable aux activités intellectuelles et artistiques et George sera l’un des premiers en Auvergne qui disposera d’un pianoforte. Plus tard, il apprendra le violoncelle pour pouvoir jouer avec ses amis.

Sa première véritable émotion musicale sera l’audition de l’opéra Stratonice de Méhul qui le dirigera vers la composition, d’abord en amateur, puis sous la férule de Reicha , il sera poussé à en faire sa principale activité. S’il a composé des opéras, de belles symphonies et des pièces pour piano, en particulier 2 sonates à 4 mains très réussies, son domaine de prédilection sera la sonate avec violon ou violoncelle, le trio avec piano, le quatuor et le quintette à cordes, qui le feront connaître au-delà des frontières. Après un long purgatoire, le musicologue Carl de Nys a été le premier à le faire jouer dès les années 1970 et il a retrouvé maintenant sa place dans les concerts.

Il a écrit avant 1820 3 sonates pour violoncelle et piano, une rareté à cette époque, et la deuxième est d’évidence la plus réussie.

Le premier mouvement, Allegro espressivo, exprime des émotions puissantes et dramatiques, déjà romantiques à souhait, qui expliquent que l’on appelle parfois Onslow le « Beethoven français » et en font le digne successeur.

Le Menuet Allegro réunit les instruments en une virtuosité brillante qui va s’alléger dans un trio de rêve avec les pizzicatti du violoncelle, avant de repartir de plus belle.

L’Adagio cantabile est une longue méditation qui fait dialoguer les musiciens, là encore dans le style  du maître de Bonn.

Puis le Finale Allegretto plus enjoué nous montre que Onslow savait mettre en valeur ses deux instruments préférés au service d’une musique séduisante qui a enfin trouvé aujourd’hui son public. □


 

 

CLASSICA de Février 2018, Jacques Bonnaure. CHOC du MOIS.
Site du pianiste Laurent MARTIN
DISQUE Déodat de SÉVERAC, La vasque aux colombes
LIEN Laurent MARTIN sur ce site

 

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