Déodat de Séverac, « La vasque aux colombes »

 

Le pianiste Laurent MARTIN © Eric BARATIN

 

La Vasque aux Colombes

Laurent Martin, 2017

 

 

        Le titre choisi pour ce CD d’œuvres de Déodat de Séverac me permet de rendre un hommage tout particulier à la grande pianiste (et compositrice) française Blanche SELVA (1884-1942). C’est en effet en écoutant son miraculeux enregistrement de 1930 des Muletiers devant le Christ de Llivia que j’ai vraiment découvert Déodat de Séverac. Et la Vasque aux Colombes, commencée vers 1920, ne fut jamais achevée par le compositeur, déjà malade et qui disparut en 1921. Blanche Selva, la plus grande interprète de ce dernier, termina le manuscrit de son grand ami avec la plus grande piété et le plus grand respect de ses intentions.

      Déodat de Séverac est né en 1872 non loin de Toulouse, à St Félix de Lauragais (anciennement de Caraman) dans une famille très artiste. Son père Gilbert était un peintre reconnu et de nombreux membres de la famille, Déodat le premier, étaient également habiles aux pinceaux. Gilbert était aussi musicien et Déodat, héritant des dons de son père, sera encouragé à pratiquer le piano. Après avoir commencé plus tard des études de droit, il les abandonnera rapidement pour la Musique, comme Ernest Chausson, Théodore Gouvy et bien d’autres.

     Vite remarqué par l’un des créateurs de la Schola Cantorum de Paris, Charles Bordes, il se trouvera bientôt l’élève de Vincent d’Indy, animateur de cette institution concurrente du Conservatoire de Paris, et y passera une dizaine d’années très fructueuses où il fera rapidement connaissance de la surdouée Blanche Selva qui y avait été nommée professeur de piano à l’âge de 18 ans, en 1902. Celle-ci sera la créatrice de nombreuses œuvres de Déodat, parallèlement avec le grand pianiste catalan Ricardo Vines.

     Peu à peu, Déodat se dégagera de l’enseignement trop formaliste de la Schola et trouvera son chemin personnel dans la lignée de César Franck et d’Emmanuel Chabrier, avec un langage enrichi par son immense curiosité, son oreille attentive à toutes les sonorités les plus diverses et par son amour immense du Languedoc, de la musique espagnole (et plus particulièrement de celle de son contemporain et ami Albeniz) , du soleil méditerranéen et de la mer, de la nature foisonnante et des musiques populaires. A partir du Chant de la terre pour piano, créé en 1902 avec succès jusqu’au grands cycles pour piano de la maturité, de ses œuvres symphoniques, opéras, mélodies, œuvres religieuses, ses créations s’imposeront à Paris et en France et on le citera comme un des maîtres de la musique française aux côtés de Debussy et de Ravel.

     Á partir de 1910, il va s’installer peu à peu à Céret, près de Perpignan, qui va devenir  la Mecque du cubisme, avec ses amis Picasso, Braque ou Juan Gris. Il se sentira de plus en plus catalan et espérera créer une grande région artistique depuis Marseille jusqu’à Barcelone pour faire vivre l’esprit méditerranéen qui va l’inspirer définitivement.

Après la guerre de 1914-1918 pendant laquelle il va se dévouer aux autres dans les services auxiliaires de l’armée, trop âgé pour être incorporé, il se consacrera à de nouveaux projets musicaux mais sa santé se dégradera inexorablement (urémie) et son œuvre sera de moins en moins jouée après sa mort, le 24 mars 1921, à Céret.   

     C’est le grand pianiste Aldo Ciccolini qui, un des premiers, la fit revivre à travers son intégrale pour piano des œuvres de Séverac, menée à bien de 1968 à 1977.

Les œuvres

       Les trois premières pièces de ce CD font partie d’un des deux grands cycles pour piano, Cerdana (1908-1910). C’est d’abord En Tartane (une voiture à 2 roues attelée d’une mule), sous-titrée l’Arrivée en Cerdagne. Après une vibrante introduction, les mules entament leur périple, interrompu par un épisode poétique et très expressif, puis la course reprend  suivie d’un nouvel alanguissement. Le tempo s’accélère encore puis la Tartane disparait dans le lointain.

     Avec Les muletiers devant le Christ de Llivia, nous sommes au cœur du pèlerinage des muletiers dans cette enclave espagnole en France, mais surtout au plus profond de la foi intense de Séverac dont la religiosité si spontanée et sincère avait fasciné Blanche Selva qui partageait son ardent mysticisme. Cette pièce douloureuse et dramatique (Séverac parlait de sa « petite pièce » !) va ensuite s’envoler dans un passage éthéré et céleste, et on aura du mal à retourner  dans le monde terrestre après l’extase.

     Le cycle se termine joyeusement par Le retour des muletiers où l’on entend les sabots des mules, les claquement des fouets et un tourbillon de bonne humeur.

     Avec La Vasque aux Colombes (extraite du 2ème recueil de En Vacances), changement complet. Nous passons des sentiments divins aux sensations les plus raffinées. Séverac arrive à nous faire imaginer le tournoiement des oiseaux qui se succèdent autour de l’eau bienfaisante, les échos des bruits de la nature qui se répondent dans un ciel clair et bleu et le silence qui s’installe progressivement au crépuscule où les colombes vont doucement se laisser gagner par le sommeil.

     En 1910, Déodat annonce à Blanche qu’il compose des pièces plus abordables par les pianistes (ses cycles En Languedoc et Cerdana sont en effet réservés aux pianistes confirmés, comme l’Himalaya d’Albéniz : Ibéria). Ainsi naît le premier recueil de En Vacances dont font partie les cinq pièces qui suivent.

     En introduction une poétique Invocation à Schumann fidèle à son modèle, moins la difficulté, et avec quelques passages que n’aurait pas reniés Gabriel Fauré.

     Puis Les caresses de Grand-maman où l’on se croit soudain replongé dans le monde béni et indulgent de l’enfance.

     Toto déguisé en Suisse d’église nous introduit majestueusement dans la chapelle, puis Mimi se déguise en Marquise en un menuet élégant et léger très dix-huitième siècle.

      En final, la célèbre Valse Romantique, petit chef d’œuvre de finesse langoureuse et tendre.

     Avec les Stances à Madame de Pompadour nous revenons encore dans le passé et Séverac rend un magnifique hommage à la belle et élégante Marquise. Charme, subtilité et raffinement rivalisent  en une délicieuse et émouvante tendresse.

     Nouveau et fort contraste avec Pippermint-Get, valse de concert. En 1907, Séverac s’était présenté et avait été élu  aux élections du conseil d’arrondissement avec son ami Auguste Get, fabricant de la célèbre boisson, pour contrer deux candidats anti-viticulteurs. Il lui rend hommage dans cette valse brillante et endiablée.

     Enfin, avec Coin de cimetière, au printemps nous atteignons, comme avec Les muletiers à Llivia le plus sublime du génie de Séverac. Écrite après la disparition de son père et de sa jeune sœur Marthe, cette pièce exprime à la fois le désespoir du deuil si proche et l’espoir chrétien de la résurrection. Le glas résonne tout au long et l’émotion mous étreint mais ce cimetière « au printemps » nous rappelle aussi que la vie est bien là, qu’elle renait dans toute sa splendeur, que la nature va à nouveau nous émerveiller. □

Site du compositeur Déodat de SÉVERAC
Déodat de SÉVERAC, Héliogabale
Site du pianiste Laurent MARTIN
DISQUE Rita STROHL et George ONSLOW
LIEN Laurent MARTIN sur ce site

 

 

 

 

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