AUBERT Louis, cinquantenaire de sa disparition (1968-2018)

 

 

 

Hommage à Louis Aubert

pour les cinquante ans de sa disparition (1968-2018)

 

 

Entre le 15 novembre 2018 à l’Université Toulouse Jean Jaurès et le 15 décembre 2018 au Conservatoire Jean-Jacques Rousseau (Paris, 1er) en passant par un concert privé à l’Hôtel Bedford (Paris 8e) le 14 décembre au soir, Louis Aubert, ce maître à la plume toute aristocratique aura été fêté ainsi que je l’avais espéré ma vie durant.

Dans les années 50, la famille Redon voisinait à la sortie de Périgueux, route de Bergerac, avec la ferme de mes grands-parents, aux “Petites Brandes”. J’eus la surprise au temps des vacances d’apercevoir la fratrie aux limites de nos royaumes respectifs : Marie-Françoise, Danièle, Jean-Pierre et Marie-Claude. J’eus même l’insigne honneur de serrer la main du maître un jour où il séjournait à ‟Chabrier” chez sa fille et son gendre. J’avais environ 10 ans.

Soixante après, je retrouvais la fratrie Redon au complet au Conservatoire Jean-Jacques Rousseau. Les filles avaient quelque peu grandi, Jean-Pierre et moi étions toujours petits !

Ces retrouvailles étaient l’évènement le plus improbable au monde.

Durant mon adolescence, nous avions évoqué avec Mireille Neyrat (Musique Neyrat-Montaigne à Périgueux) le compositeur qu’elle connaissait bien, étant elle-même violoniste et élève de Gabriel Fauré. Plus tard, j’enregistrais soigneusement les documents d’archives diffusés sur France Musique ce qui préludait à de fortuites rencontres avec Marie-José et sa mère (autre fille du compositeur), puis à notre amitié avec Lionel Pons dont Aubert fut le lien initial, et encore aux “Journées Louis Aubert” à Belvès où je rencontrais d’autres membres de la famille, dont Pierre Redon, Marie-Françoise, ses soeurs moins régulièrement, puis à Saint-André de l’Eure où je ne me rendis point. C’est à Belvès que pour la première fois je rencontrais Ludovic Florin qui avait inclus dans son cursus universitaire en musicologie, le compositeur Louis Aubert.

En 2001, naissait l’association Les Amis de la musique française – AMF – et notre première publication (livrets « Musiciens français ») qui avait d’ailleurs un peu anticipé la fondation de l’association, était, bien entendu, dédiée à Louis Aubert, sous la plume de Ludovic Florin.

Auguste personnage qui aura fédéré de manière continue mon propre parcours au service du patrimoine musical.

Longuement, même si quelques enregistrements (trop parcimonieux) parurent, je restais un peu dépité de devoir espérer de voir resurgir l’auteur de La Forêt bleue. J’en éprouvais une morne tristesse.

Au sein de nos activités associatives, Ludovic, Betty et ses amies nous firent entrevoir d’autres facettes de l’art du compositeur. Vers 2013/14, il y eut ce concert mémorable à Paris, lors d’une Assemblée Générale de notre association, où sur mon insistance appuyée, Philippe programma finalement la Sonate pour violon et piano sous l’archet envoûtant d’une jeune fille charmante. Cette sonate, merveille oubliée, qui à mon goût avait été interprétée trop peu de fois et sans l’âme qu’y avait mise le compositeur – il y manquait le feu intérieur –, connut grâce à Stéphanie Moraly et Romain David un succès enthousiaste qui consacra mon espérance.

Le 9 janvier 1968, Louis Aubert rejoignait le Parnasse des musiciens.

Janvier 2018, cinquante années plus tard, Ludovic Florin m’annonçait son intention de lui consacrer des Journées d’études.

J’ouvris sur le site des Amf, une page, avec sa complicité et celle de Marie-Françoise Guilhem-Redon [textes, photos et documents permettant de découvrir son œuvre].

 

 

Université Jean Jaurès de Toulouse

15 novembre 2018

 

Nous assistions Marie-Françoise, Marie Annick et moi, ainsi que des élèves en musicologie, à la première partie de ces Journées d’études « Louis Aubert : un musicien entre trois époques ».

Nous avions fait le voyage entre Saint-Astier et Toulouse avec le benjamin de l’association, Étienne Kippelen (rédacteur en chef de la revue Euterpe, notre plus légitime fierté), virtuose du volant autant que de musicologie.

 

 

 

Premier entre tous, il me faut saluer le travail discret autant qu’efficace de Ludovic Florin, maître de conférence dans cette université qui, après des années de recherches, est en mesure de donner à Louis Aubert le visage attachant et admiratif qu’il mérite. Il s’est associé dans la direction de cette journée à Mylène Dubiau qui s’y est investie de grand cœur et avec pertinence.

Tous les intervenants furent explicites pour nous faire partager l’intérêt de ce patrimoine musical injustement oublié, après avoir connu un juste rayonnement. La musique de Louis Aubert se voit souvent taxée d’épigonale avec au moins trois rattachements : Gabriel Fauré, Claude Debussy, Maurice Ravel. Stefan Keym a démontré l’originalité du compositeur dans le poème symphonique de 1947, Le Tombeau de Chateaubriand, en prenant à contre-pied la déclaration[1] émise en 1967, par Harald Kaufmann.

Merci donc à chacun de ces communicants : Étienne Kippelen, Stefan Keym, Jean-Michel Court, Lauriane Dumarchapt, Myène Dubiau, Ludovic Florin.

 

 

Paris, Hôtel Bedford

14 décembre 2018 en fin d’après-midi

 

 

Cette manifestation était à l’initiative de Manuel Cornejo, président de l’association Les Amis de Maurice Ravel, qui vient de publier un ouvrage considérable, Maurice Ravel, L’intégrale : Correspondance (1895-1937), écrits et entretiens, Le Passeur Éditeur, 1776 pages sur papier bible ! Ce concert privé, était réservé aux membres des Amis de Maurice Ravel, à la famille du compositeur et aux Amis de la musique française.

Le célèbre Duo de pianistes Arthur Ancelle & Ludmila Berlinskaïa, ainsi que le Duo formé par Stéphanie Moraly, violon et Romain David, piano se sont illustrés magnifiquement dans un répertoire partagé entre les pages des deux amis que furent Maurice Ravel et Louis Aubert.

 

Arthur Ancelle & Ludmila Berlinskaïa, pianistes © Cliché Marc Phalippou

 

Stéphanie Moraly, violoniste & Romain David, pianiste © Cliché Marc Phalippou

 

Ce fut l’opportunité pour moi de rencontrer la petite-fille du compositeur Jacques de La Presle (1888-1969) investie dans cet héritage musical en transcrivant, jour après jour, la correspondance inédite du compositeur. Rencontre aussi avec les jeunes générations de la descendance de Louis Aubert dont Marc (petit-fils de Pierre Redon, gendre du compositeur) qui possède toute la noblesse d’âme de son admirable grand-père et Thomas (fils du frère de Marc) passionné par la musique de son aïeul (nous souhaitons qu’il y découvre une raison de s’investir et de prendre le relais de notre génération vieillissante). Rencontre encore avec Bruno Sacchi qui connut personnellement tous ces compositeurs qui nous sont chers, Éric van Lauwe, chef d’orchestre d’une insatiable curiosité qui réussit le prodige de diriger des œuvres de compositeurs peu joués et même méconnus [Maurice Thiriet, Henri Tomasi, Jan Václav Hugo Vorisek, Peter Warlock, Leó Weiner… ], concerts gratuits !

J’eus peu de loisir de m’approcher du buffet sous la fameuse verrière en dôme de ce magnifique hôtel qui réserve, pour plusieurs raisons historiques, une place de choix à la musique.

 

Verrière de l’Hôtel Bedford, Paris

 

Un escalier colonnaire, en spirale, permettait de plonger dans la cave voûtée du restaurant “Aux divins” pour un repas amical et bon enfant. Le jeune serveur longiligne, effectuant de constants allers et venues la soirée durant, m’avouait s’être parfaitement adapté à sa destinée de goupillon ! C’est à cette table que je fis connaissance avec le très distingué vice-président des Amis de Maurice Ravel.

Week-end de toutes les agitations : grève CGT, plan Vigipirate maximal et manifestations imprévisibles des gilets jaunes. Rien ne fut facile pour les organisateurs, nous devons cependant à l’énergie inépuisable de Manuel Cornejo la grande réussite de ce temps festif autour des noms de Maurice Ravel et plus essentiellement de celui de Louis Aubert. La descendance du compositeur, tout comme moi-même, qui attendions depuis si longtemps cette reconnaissance, fûmes profondément touchés, d’autant que nous observions que les musiciens comme les participants étaient également convaincus du bien-fondé de cet hommage.

 

 

Paris, Conservatoire Jean-Jacques Rousseau

(1er arrondissement), 15 décembre 2018

 

 

 

 

 

Le déroulement de cette journée (seconde partie du colloque et concert) était programmé au Conservatoire à rayonnement régional (CRR), rue de Madrid (Paris 8e). Pour des raisons de sécurité celui-ci ayant été fermé, la seconde Journée d’études sur Louis Aubert fut transférée au Conservatoire Jean-Jacques Rousseau à proximité de l’église Saint-Eustache, métro “Les Halles”, station ouverte alors que les stations du RER, “Étoile-Charles de Gaulle” et “Auber-Opéra” étaient fermées.

Les nécessités d’adaptation furent conséquentes pour les organisateurs et en particulier pour Stéphanie Moraly et ses parents. Nous leur devons déjà cette capacité à gérer les désordres du temps : nouvelle salle moins vaste, nouvelle table au restaurant pour le repas de midi, limitation du programme musical initial en raison de l’absence d’un second piano à queue et de la harpe. Stéphanie n’est pas qu’une musicologue remarquable, une violoniste investie comme personne de cet esprit français qui compte mille facettes, elle se révèle être aussi une gestionnaire inattendue et efficace, soutenue par des parents émerveillés d’avoir une fille aussi idéale. Ainsi, malgré la multiplicité des contraintes, cette journée fut de bout en bout idéalement réussie, passionnante, et constitua un hommage sans précédent à la gloire de Louis Aubert. Lui qui était tellement amoureux des femmes, comment n’eut-il pas été totalement sous le charme ? Nous le fûmes aussi ! En tout cas merci mille fois pour autant de savoir faire…

Stephan Etcharry, avec lequel j’avais échangé plusieurs messages lors de l’édition de la correspondance du critique musical Henri Collet par notre association, sans l’avoir rencontré, vint me saluer. Il n’y a pas que Louis Aubert pour être aussi bien élevé et courtois !

 

Photomontage Journée & concert au Conservatoire Jean-Jacques Rousseau, 15 décembre 2018, Paris © Stéphanie Moraly

 

Avec assez peu de retard et assez peu de public, ainsi qu’il le fit à Toulouse, Ludovic Florin ouvrit la Journée d’étude et présenta le premier intervenant.

Manuel Cornejo, puis Dominique Escande nous firent part de leurs communications sur des thèmes fort éloignés, édifiants et révélateurs de la personnalité du compositeur dans ses relations avec Maurice Ravel en particulier comme dans son respect du texte lorsqu’il lui était demandé une orchestration sur des œuvres pianistiques d’un autre compositeur, ici en l’occurrence, celles de Chopin. La hauteur toute aristocratique du maître se manifestait dans ses différentes approches, humaines comme musicales.

Ensuite, Stephan Etcharry nous entretint magnifiquement des Sillages, œuvre pianistique majeure de Louis Aubert.

Entre temps notre ami Alexis Galpérine se joignait à l’assemblée.

Ce fut le temps des questions et j’osais demander quel était [suite à la remarque émise par Étienne Kippelen à Toulouse sur l’interprétation de Marie-Catherine Girod dans la première pièce du cycle intitulée “Sur le rivage” qu’il trouvait trop rapidement jouée par rapport aux indications du compositeur, surpris de plus par l’interprétation magistrale de la veille, donnée par Romain David à l’Hôtel Bedford qui ne lui cédait en rien sur l’allure du mouvement], quel était le bon tempo ! Alexis Galpérine insista sur la capacité de l’interprète de donner la plus juste interprétation de ce que souhaitait fondamentalement le compositeur en citant l’exemple du fameux métronome de Gabriel Fauré célèbre pour sa chaotique imprécision ! Stéphanie fit part de son expérience d’interprète pour dire qu’il convenait de trouver le tempo qui correspondait à l’esprit du morceau à interpréter. Il fallait alors convenir que Romain David en était aujourd’hui l’interprète idéal.

Sur une longue rangée comme la veille, mais à l’étage, auquel on accédait par un escalier métallique qui était comme un souvenir du cirque Medrano, fut l’heure de la pause repas !

Menu simple mais de qualité qui me fit déguster le meilleur museau de porc de mon existence… mon père eut été aux anges ! Tout en conversant avec Hubert Dutournier ‒ qui nous offrit un somptueux vin de Loire ‒, Jean-Pierre Redon et les parents de Stéphanie, j’aperçus un défilé de gilets jaunes sous de légers flocons de neige… Toute la poésie inédite de la fin de l’année 2018 !

Petite pluie mélangée de neige pour nous raccompagner au conservatoire.

La salle se remplissait et le riche buffet attirait gourmands et amateurs de thé comme de café.

Quel poète et enchanteur que le violoniste Alexis Galpérine, évoquant avec un merveilleux talent de conteur sa jeunesse, ses grands-parents, Madeleine Bloy, Édouard Souberbielle, Marie-Thérèse Ibos et les traditions musicales de la famille Aubert.

Stéphanie nous présenta l’œuvre pour violon de Louis Aubert au temps de l’âge d’or de la sonate pour violon et piano. Celle de Louis Aubert étant un chef-d’œuvre et le disque qui va paraître incessamment en sera témoin.

 

Pochette du disque consacré aux oeuvres pour violon et piano de Louis Aubert par Stéphanie Moraly & Romain David

Il revenait à Mylène Dubiau de clôturer ce colloque, elle le fit avec grâce en évoquant, en un second volet, le répertoire de mélodies du compositeur, de la plus pure tradition française à la chanson de qualité des années 30.

Affluence. La salle fut vite comble pour un concert inédit.

Quelle initiative ambitieuse et inspirée, qui exige d’avoir de très harmonieuses relations avec les professeurs enseignant dans les autres disciplines du CRR, afin de faire participer leurs élèves, en supplément du programme officiel, à cet hommage et les faire jouer gracieusement un samedi en fin d’après-midi. Comment ne pas féliciter ces généreux professeurs et chacun de ces jeunes tellement doués et impliqués dans les interprétations délicates, parfois périlleuses, des œuvres de Louis Aubert. Œuvres pour piano, mélodies, œuvres pour violon et piano, pour flûte et piano, Improvisation pour deux guitares, et pour conclure en beauté cette intelligente journée d’hommages, la Sonate pour violon et piano de 1926 sous l’archet de Stéphanie Moraly accompagnée au piano par Romain David.

Les nombreux participants ont perçu la valeur indéniable que possède ce corpus méconnu de notre patrimoine musical, reconnaissant qu’il mérite de sortir de l’ombre dans laquelle la postérité peu reconnaissante l’avait plongée. Un des plus convaincus de la valeur de ce corpus m’a semblé être Stephan Etcharry. Romain David quant à lui a démontré la superbe maîtrise de son jeu, au point de générer des suites heureuses pour le soliste, lui qui est d’une étonnante discrétion.

Comment ne pas être reconnaissant pour cet immense investissement dont je n’imaginais pas l’ampleur, le sérieux, la prescience pédagogique. Merci pour avoir tracé parmi la jeune génération une espérance d’avenir. Merci à tous et plus particulièrement à Stéphanie Moraly d’avoir donné à cette merveilleuse Sonate une interprétation de référence qui devrait convaincre désormais beaucoup de violonistes de lui accorder l’intérêt qu’elle mérite.

 

Jean Alain Joubert

Décembre 2018

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[1] Conférence inaugurale de l’Institut de Recherche sur l’Évaluation [artistique] au Conservatoire supérieur de Graz (Autriche), 1967.

Portfolio

 

 

 

 

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