LEMELAND Aubert

 

Aubert LEMELAND © Disques Skarbo

ENTRETIEN avec Aubert LEMELAND

Ludovic FLORIN, mai 2005

Document initialement publié dans le Bulletin n° 8, été 2005
des Amis de la musique française

Le hasard parfois fait bien les choses. Consultant l’annuaire téléphonique parisien à la recherche du numéro d’un ami, le destin me fit tomber le regard sur un nom connu : Lemeland, Aubert. Parmi des millions d’autres, celui-ci m’évoquait un compositeur. Est-ce le même ? Pour en avoir le cœur net, je pris bravement mon téléphone, ainsi que mon courage à deux mains, et j’appelai celui que j’espérais être le maître avec, au cas où, le prétexte de lui manifester mon admiration. Tout simplement ! L’homme qui décrocha à l’autre bout du fil était bien l’auteur de Songs for the dead Soldiers et de Omaha. Une idée un peu folle, comme seule on peut les avoir dans ces moments-là, me vint alors. Je lui proposai de le rencontrer et de faire une interview de lui afin d’en faire profiter les Amis de la musique française. Ravi de la proposition, il me dit : « Si vous êtes libre, nous pouvons nous rencontrer dès à présent ! La Taverne de Maître Kanter, place de la République, cela vous conviendrait-il ? ». J’acceptai et, une fois dans le métro, j’imaginai les questions (je n’avais rien prévu, bien sûr) dont vous allez être les heureux bénéficiaires. Pour conclure notre entretien, vous trouverez les réponses du maître au célèbre questionnaire de Proust auquel il se livra très spontanément en ce jour du 15 mai 2005.

Les Amis de la musique française : Quel a été votre premier choc musical ?

Aubert Lemeland : Comme toutes les personnes de ma génération, je suis passé par le lycée. Ainsi, au Lycée Claude Bernard, je me suis retrouvé avec des gens qui sont devenus assez connus comme Jean-René Huguenin (l’écrivain), Renaud Matignon, devenu critique, ou encore Jean-Edern Hallier. On n’était pas mauvais dans les dissertations… Et puis, tout d’un coup, la musique m’a pris. Mais cela a été comme un coup de chloroforme. Je peux même dire ce que c’était : ce n’était pas Mozart, ni Beethoven, ni Bach, c’était la musique du XXe siècle ! C’était Prokofiev, Stravinsky, Copland, Barber. Et en particulier, de Prokofiev, la Suite Scythe sur un enregistrement. Puis, par la suite, j’ai découvert d’autres musiciens, mais beaucoup plus orientés vers Ravel et Debussy que vers les classiques. Les enregistrements 33 tours m’ont encore fait découvrir Villa-Lobos, Carlos Chavez, William Walton, d’autres Américains comme Roy Harris. Tout cela par le disque ! « Un coup de dé n’abolira jamais le hasard », c’est bien ce qui s’est passé avec ces musiques. C’est vraiment ce qui a déclenché chez moi l’envie d’écrire de la musique. Beaucoup plus que d’en jouer d’ailleurs. J’ai su très vite, n’ayant pas beaucoup travaillé le piano et le violoncelle (ce qui m’embêtait assez), que je serais porté vers l’écriture plutôt que vers l’interprétation. C’est dommage, car maintenant j’aimerais pouvoir jouer correctement, ne serait-ce que la Sonatine de Ravel ou des choses comme cela. Mais pour répondre définitivement à votre question, c’est la musique du XXe siècle, disons les années 1950-1960, faite par des gens qui étaient donc nés avant, qui m’a enflammé.

AMF : La question suivante découle donc de la première : comment devient-on compositeur, ou si vous préférez, pourriez-vous évoquer votre parcours ?

Aubert Lemeland : Ayant ce choc musical, j’ai eu envie de faire. Écoutant des quatuors de Chostakovitch, j’ai eu envie de faire des quatuors. En écoutant des symphonies, etc. Tout cela était assez flou, parce qu’il faut beaucoup de connaissances. Je commençai donc à apprendre la musique comme tout le monde : piano, violoncelle, harmonie, toutes ces choses qui m’engageaient directement vers le Conservatoire. J’ai alors eu une maladie assez grave, la tuberculose pulmonaire, dont mon père était mort et dont, moi, j’ai été sauvé par les antibiotiques et le professeur Brouet de l’hôpital Cochin. Mais pendant ces longues années, j’ai tout de même pu récupérer un peu de mes lacunes musicales en étudiant moi-même de nombreuses partitions. Et puis, à cette époque-là, j’ai très bien connu Gilbert Amy qui connaissait beaucoup de musiques déjà à l’époque et qui aiguisait ma curiosité. Enfin, pour compléter le tout, je suis allé voir Jean Rivier, dont j’aimais la musique. Il a vu ce que j’avais fait, et m’a dit : « Je n’ai plus grand-chose à vous dire. Simplement, venez me voir de temps en temps. »

Après, il y avait des choses qui m’intéressaient plus que d’autres. Par exemple, à cette époque-là, j’étais tourné sur l’instrumental, le symphonique, et pas du tout sur le vocal. Et c’est en écrivant, une vingtaine d’années après, un concerto pour violon que le chef d’orchestre qui l’a créé m’a dit : « Tu es un lyrique donc il faut que tu écrives pour la voix. » J’ai eu la chance d’écrire une œuvre pour soprano et orchestre un peu plus tard pour Renée Fleming (hélas souffrante, elle a été remplacée au dernier moment) avec Michel Plasson au Capitole de Toulouse en 1992 ou 1993. C’est de là que date vraiment mon amour particulier pour les voix de femmes, les sopranos, puisque j’ai écrit depuis plusieurs cycles pour soprano et orchestre. Le dernier a été créé en l’an 2000 à Pleyel par l’Orchestre Colonne et Olga Pasichnik. Ce même chef américain m’a ensuite proposé de composer un opéra pour l’Opéra de Vienne où il venait d’être nommé. Ce que j’ai fait ; il s’appelle Cachet rouge et a été joué onze fois là-bas. Cela m’a donné envie de continuer. À cette époque-là j’ai aussi écrit Omaha pour chœur de voix de femme. Enfin, dernièrement, mon Concerto pour piano et orchestre avec chœur a eu du succès à Mogador avec Pascal Amoyel, l’Orchestre Colonne et David Colman. Vous savez, il y a des musiques avec lesquelles le public se sent en communion. Tout simplement, comme ça. Il ne se pose pas de question de savoir si le compositeur est moderne ou pas moderne. On communique ou on ne communique pas.. On a du charisme ou on n’en a pas. C’est peut-être une estampille qui vient du code génétique… Je n’en sais rien, c’est comme ça.

AMF : Comment définiriez-vous votre musique à un auditeur néophyte ?

Aubert Lemeland : C’est intéressant. Je dirais, n’ayez aucun a priori. Ne vous rabattez pas sur les formules de « musique contemporaine », « musique de notre temps », etc. La musique est de tous les temps. Les influences que l’on a sont multiples. À la question « quels sont les compositeurs qui vous ont inspiré ? », Ravel répondait « Tous ! ». C’est aussi bien une chanteuse de cabaret, que du jazz, que de la musique allemande, russe, etc. Je dirais encore, ne vous fiez pas à la mauvaise presse dont bénéficie malheureusement la musique contemporaine. Parce que ce que l’on entend de la musique contemporaine, c’est vraiment très difficile. C’est plutôt de la recherche, et c’est à mon avis plus pour les C.N.R.S. que pour les salles de concert. Résultat, les compositeurs disparaissent.

AMF : Avez-vous des processus compositionnels ?

Aubert Lemeland : L’oreille et le cœur.

AMF : Que pensez-vous de la période d’après-guerre et de nos jours, de la tendance néo-tonale ?

Aubert Lemeland : Sur la dernière partie de votre question, je pense que ce n’est pas une mauvaise chose du tout. J’estime que John Adams est un très grand musicien. Steve Reich, le répétitif, a fait des choses basées sur le tonal par exemple. Pourquoi éviter le tonal ? La tonalité est une loi physique ! On a voulu changer, transgresser des lois physiques comme la résonance. Bien sûr qu’on n’est pas obligé d’écrire en si bémol majeur ou en mineur. Cela n’a rien à voir. Mais l’essence tonale ou modale, c’est la base. Il y a des détentes et des tensions, comme dans la vie. Il y a l’amour, la haine… eh bien, en musique c’est pareil ! Je pense que dans ce système sériel, dodécaphonique, élaboré par un grand compositeur, il y a quelque chose de méchant là-dedans. Pas de méchant comme un gamin bête et méchant. Mais il y a quelque chose de méchant de vouloir enlever à la musique son harmonie, son rythme, sa répétition. Les réitérations sont interdites, pourquoi ces interdits ? En fonction de quoi ? D’une évolution ? Mais non !

À partir du moment où l’on a décidé cela, surtout en France, il y a eu quand même des tendances très nettes et très brutales de ramener toute la musique à cette évolution-là. À partir de ce moment-là, vous étiez éliminé. Si vous aviez assez de ressources pour respirer avant d’être enterré vivant… Respirez pour tenir, et puis peut-être vingt ans après, vous êtes en apnée et vous ressortez. Alors, vous regardez ce qui c’est passé… Rien ! Sinon la destruction ! Schoenberg est un peu le responsable.

AMF : Comment voyez-vous l’avenir de la musique ?

Aubert Lemeland : Il faut simplement qu’il y ait de l’âme. Je trouve que les âmes n’ont pas d’âge.

Questionnaire « de Proust » de Aubert Lemeland

Quel est votre principal trait de caractère ?

La fidélité.

La qualité que vous préférez chez un homme ?

La fidélité.

La qualité que vous préférez chez une femme ?

La fidélité.

Ce que vous appréciez le plus chez vos amis ?

La franchise et l’honnêteté.

Votre principal défaut ?

L’impatience.

Votre occupation préférée ?

Écrire de la musique.

Votre rêve de bien-être ?

Continuer.

Quel serait pour vous le plus grand malheur ?

Ne pas continuer.

Que voudriez-vous être ?

Ce que je suis.

Où aimeriez-vous vivre ?

Où j’habite, à Paris, mais aussi à Londres et à New York.

Votre couleur préférée ?

Le bleu.

Votre fleur préférée ?

La rose.

Votre oiseau préféré ?

Le colibri.

Vos auteurs préférés en prose ?

Barbey d’Aurevilly, Balzac, Saint-Exupéry, Proust, Jünger, Melville, Stevenson.

Vos poètes préférés ?

La poésie chinoise ancienne.

Vos héros de fiction ?

Tintin.

Vos héroïnes de fiction ?

La femme que j’aime.

Vos compositeurs favoris ?

Ravel, Prokofiev, Copland, Chostakovitch, Walton, Britten.

Vos peintres favoris ?

Corot, Monet.

Vos héros dans la vie réelle ?

Les infirmières.

Vos héroïnes historiques ?

Les sœurs Brontë.

Vos prénoms préférés ?

Le mien.

Ce que vous détestez le plus ?

La duplicité.

Les personnages historiques que vous détestez le plus ?

Napoléon.

L’exploit militaire que vous admirez le plus ?

Le 6 juin 1944.

La réforme que vous admirez le plus ?

J’aimerais la réforme de la fiscalité en France.

Quels dons naturels aimeriez-vous possédez ?

Bien jouer du piano.

Comment aimeriez-vous mourir ?

Sans m’en apercevoir.

État présent de votre esprit ?

Serein.

Les faits qui vous inspirent le plus d’indulgence ?

Le drame passionnel.

Votre devise ?

À l’impossible, nul n’est tenu.

Aubert LEMELAND, LIEN COMPOSITEURS

 

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