KOECHLIN Charles
CHOC CLASSICA ◊ février 2018 ◊ Pierre MASSÉ ◊
Sonate pour violon et piano : « […] Le timbre chaleureux et expressif de Stéphanie Moraly et le piano ample, rond et moelleux de Romain David sont idéalement adaptés à ce poème de la forêt dont ils soulignent les effusions d’un rubato discret. La rigueur et leur précision font merveille dans le riche entrelacs des polyphonies du finale. Ils surclassent sans peine les versions antérieures… » Quintette pour piano et cordes : « La partition… a été soigneusement expurgée de ses nombreuses erreurs grâce à l’édition critique d’Otfrid Nies, offerte ici en première pour le cent cinquantième anniversaire de la naissance de Koechlin : un magnifique hommage à l’un de nos plus grands compositeurs (si négligé !), qui s’inscrit d’emblée comme une référence. » |
Charles Koechlin : Sonate et Quintette
par Stéphanie Moraly, Romain David, et le Quintette Syntonia
NOUVEAU CD CHEZ TIMPANI (2017, 1C1241)
2017 commémore les 150 ans de la naissance de Charles Koechlin (1867-1950).
Cette année est également l’occasion de célébrer les 100 ans de la création de la Sonate op. 64 pour violon et piano, et verra prochainement la reparution de la partition du Quintette op. 80 pour piano et cordes dans une nouvelle édition corrigée de près de 1.200 fautes par Otfrid Nies.
À cette occasion, Stéphanie Moraly, Romain David et leur Quintette Syntonia sortent un nouveau disque au label Timpani, comprenant les deux grands chefs-d’œuvre de la musique de chambre de Koechlin que sont la Sonate pour violon et le Quintette avec piano, et donc le premier enregistrement mondial du quintette dans sa version revue d’après les différents manuscrits.
Stéphanie Moraly et Romain David forment un duo depuis de nombreuses années maintenant, et se produisent dans un répertoire où la musique française tient une place de choix. Stéphanie Moraly consacre même une thèse à la sonate française pour violon et piano (doctorat de musicologie, Paris-Sorbonne, 2014). Ils ont enregistré ensemble l’intégrale de l’œuvre pour violon et piano d’Olivier Greif (Triton, 2010).
Tous deux sont par ailleurs membres de Syntonia, l’unique quintette avec piano français, constitué depuis plus de 15 ans. Les enregistrements de Syntonia comportent notamment les quintettes de Schumann et Franck (Loreley, 2007) et les quintettes de Dvorak et Suk (Syntonia, 2014).
Sonate pour violon op. 64
« Le trait essentiel qui domine ma vie, c’est la passion de la liberté. »
Ces mots de Charles Koechlin lui-même sont peut-être la plus belle introduction possible à cette merveilleuse Sonate pour violon et piano dont la poésie, le pouvoir d’évocation et la profonde originalité semblent sans limite.
Koechlin la compose en 1916, année féconde qui voit également la naissance de la Sonate de Debussy et de la Seconde Sonate op. 108 de Fauré, son maître tant aimé à qui Koechlin dédie sa sonate :
« J’ai voulu ne vous dédier qu’une œuvre où j’avais l’impression d’avoir mis, réellement, quelque chose de moi – en un langage qui fût le mien – et pourtant, de la musique. – Y suis-je parvenu, c’est ce que l’avenir décidera. L’essentiel, pour l’artiste, c’est d’avoir écrit son œuvre, de son mieux. Et je puis dire que je n’ai jamais eu devant moi de modèle plus parfait de scrupuleuse énergie, patient et triomphant (avec quelle musicalité) de toutes les luttes d’artiste devant la matière et la pensée musicales, que celui de vos œuvres. Non que je prétende, dans ma sonate, ni les égaler, ni les imiter ; – mais elles m’ont éclairé de leur lumière sereine et de leur absolue sincérité qui est de faire la musique qu’on aime. […]
Cette sonate a été composée pendant la guerre, en 1916, – et vraiment, à cette époque angoissée, sombre, tragique, je n’ai pu que me réfugier (au lieu de faire de la musique de guerre !) dans un monde irréel de féerie et de rêve. Cette musique, pour moi, se passe comme dans une forêt enchantée, dans une atmosphère de contes et de légendes (au moins pour les trois premiers morceaux). »
Charles Koechlin, Correspondance. 1867-1950
(La Revue Musicale, n° 348-350, Paris, Richard-Massé, 1982, p. 45-46)
L’œuvre, toute de couleurs, de lumière et de féérie est un chef-d’œuvre unique en son genre.
Quintette pour piano et cordes op. 80
« La plus marquante peut-être de [m]es œuvres », nous dit Charles Koechlin (« Koechlin par lui-même », La Revue Musicale, n° 340-341, Paris, Richard-Massé, 1981, p. 55).
Quel grand voyage que ce Quintette, véritable « œuvre-monde » !
Tel un poème symphonique pour ce petit orchestre que semble être le quintette pour piano et cordes sous la plume de Koechlin, ce chef-d’œuvre du genre nous fait voyager au travers de quatre mouvements dont les titres sont autant d’indices du chemin que l’auditeur et les interprètes s’apprêtent à parcourir ensemble, de la souffrance à la rédemption, de la plus sourde noirceur à la plus céleste des lumières.
Le premier mouvement, L’attente obscure de ce qui sera, explore atonalité et chromatisme pour nous plonger dans la part ténébreuse du plus profond de nous-même. Le deuxième mouvement, L’assaut de l’ennemi – la blessure, nous emporte au cœur de la bataille, dans le tumulte effréné d’un scherzo fantasmagorique dont nul ne peut sortir indemne. Meurtris, c’est La Nature consolatrice de l’Andante suivant qui nous réconforte avec bienveillance : « les voix de la nature parlent au poète en leur fraîcheur et leur naïveté, indifférentes et éternellement claires, vivantes, c’est la vie qui continue » (notes de Koechlin pendant les répétitions précédant la création de l’œuvre à Bruxelles en avril 1934, Archives des héritiers de Charles Koeclin). Telle la renaissance toujours promise du printemps après même le plus rude des hivers, ce mouvement nous conduit d’une main tendre et bonne vers le final, La Joie, exultation mystique du triomphe des lumières divines sur les tourmentes d’ici-bas ; et l’on sent la fierté de l’auteur qui relate l’accueil que fit Bruxelles à son œuvre : « après le Final (la Joie), rythmé et lumineux, le public était persuadé que l’œuvre était celle d’un jeune homme ! » (« Koechlin par lui-même », La Revue Musicale, n° 340-341, Paris, Richard-Massé, 1981, p. 66).
La composition de ce Quintette occupa de nombreuses années de Koechlin, dont les premières esquisses remontent aux années 1908 et 1911. Il y retravailla entre 1915 et 1917, puis encore en 1920 et 1921, avant d’entamer une grande révision en 1933 pour la création bruxelloise de 1934. Le présent enregistrement veut faire honneur au soin que Koechlin apporta à la finalisation de sa partition et est le résultat d’une étroite collaboration avec Otfrid Nies, violoniste et musicologue allemand, certainement le plus grand spécialiste actuel de la musique de Koechlin. Grâce à son concours et à son travail aussi minutieux que monumental, le Quintette Syntonia a pu enregistrer en avant-première l’édition à paraître du quintette, défaite des 1.200 fautes qui entachaient les éditions précédentes.
Il s’agit donc du premier enregistrement mondial de la nouvelle édition corrigée à paraître prochainement aux éditions Durand Salabert Eschig. ◊
Un magnifique disque Koechlin
Décembre 2016, enregistrement du monumental quintette de Charles Koechlin par l’Ensemble Syntonia. Trois mois auparavant, la Sonate de violon du même Koechlin nous avait réunis dans les mêmes lieux : le bel auditorium du CRR de Paris.
Cette fois, Stéphane Topakian, directeur de TIMPANI, et Frédéric Briant, remarquable ingénieur du son, sont entourés par un petit-fils du compositeur et Otfrid Nies, violoniste allemand qui, depuis de nombreuses années, a donné son temps sans compter pour exhumer, éditer, réviser, jouer et faire jouer des partitions de Koechlin. Nous lui devons, entre autres choses, la nouvelle édition du quintette, corrigée des centaines de fautes qui entachaient la première publication de l’oeuvre ; un travail de bénédictin, réalisé avec un soin extraordinaire, que seul pouvait mener à bien un homme tout dévoué à une cause.
L’enregistrement du Quintette, plus encore que celui de la Sonate, concentrait toutes les difficultés possibles de cette discipline singulière qu’est l’art du disque; car on peut parler d’un art en soi, distinct de l’art de la scène, où la recherche de la perfection technique ne doit jamais tuer le souffle général d’une oeuvre. Certes, la problématique est bien connue, mais, dans le cas de Koechlin, les embûches semblent s’additionner : une matière dense, voire touffue, posant aux interprètes comme au preneur de son mille problèmes d’équilibre et de lisibilité, une virtuosité redoutable à tous les étages, n’épargnant aucun des instrumentistes, et enfin des lignes étirées, lentissimes, à la limite de la résistance nerveuse, particulièrement éprouvantes pour les cordes, dont la pureté et la justesse ne sont pas des ingrédients facultatifs pour mettre en lumière l’essence du discours, c’est-à-dire une veine méditative, empreinte de mysticisme, traduction au plus près d’un poème halluciné de Verlaine.
Pourtant habitué du travail en studio, que je connais en tant que violoniste, mais aussi en tant que directeur artistique occasionnel, je confesse volontiers que je me suis rarement vu confronté à un travail aussi exigeant. Confinés en cabine, dans les entrailles du bâtiment, nous étions (presque) à l’unisson, l’équipe technique et moi, des extrêmes tension et concentration des musiciens sur scène, et je vérifiais à chaque instant, mais peut-être plus que jamais, à quel point rien n’est plus exténuant, physiquement et émotionnellement, qu’une séance d’enregistrement; et, à chaque instant, je mesurais aussi les qualités exceptionnelles de chacun des instrumentistes qui composent le Quintette Syntonia : une maîtrise impressionnante, mais aussi et surtout un engagement total, les poussant à aller toujours plus loin dans l’approfondissement du texte. Là où, en cabine, je les assurais qu’un passage était largement ‟couvert”, ils demandaient souvent une nouvelle prise, comme pour forcer leur énergie jusque dans ses derniers retranchements.
Est-il besoin de dire que le résultat sonore, à la fin du processus de montage et mixage, est proprement stupéfiant ? En vérité, une pleine justice est enfin rendue à des œuvres et un compositeur encore scandaleusement méconnus ; et, à l’issue de la dernière journée, l’émotion visible du petit-fils de Koechlin, comme celle d’Otfrid, étaient certainement, pour les musiciens, la plus belle des récompenses. Je crois fermement qu’un tel disque ne passera pas inaperçu, malgré l’époque, qui se rend si souvent coupable du crime d’indifférence.
J’ajouterai un mot sur la Sonate, et aussi sur Romain David et Stéphanie Moraly, m’attardant plus particulièrement, en tant que violoniste − Romain me le pardonnera −, sur le parcours de cette dernière. Les couleurs rares qui nourrissent l’intériorité de la Sonate, la seule oeuvre, disait Koechlin, qu’il jugeait digne d’être présentée à son maître Gabriel Fauré, ne pouvait trouver d’interprètes plus aptes à en traduire toutes les nuances. La somptueuse palette du piano, ici, enveloppe et porte un violon tout à la fois arachnéen et profond, sensuel et religieux, qui parait vouloir répondre tout au long de la partition à l’appel irrésistible de sa première phrase, dont l’auteur demandait qu’elle soit jouée à la manière d’une viole d’amour !
Quelques mesures suffisent, en effet, pour nous convaincre que Stéphanie a, depuis longtemps déjà, trouvé les clefs qui lui ouvrent en grand le portail d’un domaine enchanté : celui des sonates françaises du tournant du XXe siècle. Me reportant quelques années en arrière, je la revois, jeune étudiante de la classe de pédagogie du Conservatoire, proclamant son amour immodéré de la musique française; et, soit dit sans aucune modestie, je n’étais pas le plus mal placé pour recevoir semblable confidence ! Plus tard, elle me demandait de faire partie de son jury de thèse à La Sorbonne, et je ne manquai pas d’être impressionné devant la somme des 500 (!) sonates de violon françaises qu’elle avait recensées et analysées, offrant par là un ouvrage fondamental, sans doute indépassable, aux violonistes d’aujourd’hui et de demain. Depuis lors, nous échangeons parfois des élèves, et je constate avec émotion qu’elle est devenue un des tout premiers professeurs sur la place de Paris. Que dire de plus ? Stéphanie semble n’avoir jamais fini d’approfondir le sillon qu’elle s’était tracé dans l’enfance, réalisant une à une, année après année, toutes les promesses de ce temps. Pour ceux qui savent écouter, nul doute que le présent disque confirmera, s’il en était besoin, le bien-fondé de mon propos admiratif et affectueux. □
Portfolio
Tous nos remerciements à Masha MOSCONI pour nous autoriser la diffusion de ses clichés (DR) |
La violoniste Stéphanie MORALY & la pianiste Romain DAVID © Masha MOSCONI |
Qintette SYNTONIA © Masha MOSCONI |
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