DYENS Roland
Roland Dyens à gauche en compagnie de son ami Éric Pénicaud, été 2008 © Éric Pénicaud
La Chanson de Roland
Éric PÉNICAUD, novembre 2016
« Roland Dyens nous a quittés le 29 octobre 2016, des suites d’une longue maladie, selon la formule consacrée (qui masque en fait chaque cas particulier).
Si dans ces lignes, je sépare plus ou moins le plan “amical” du plan “musical”, il est en fait impossible de les distinguer.
D’ailleurs, Roland saisissait bien cela, car il était une personne libre, s’affranchissant de tous les concepts, de toutes les classifications mentales. Comme dit Jacques Prévert : « Le monde mental ment monumentalement ». Musique, amitié, vie, sont indissociables, je les distinguerai légèrement pour la mise en forme de la narration, mais ce n’est qu’une illusion.
1987-2016 : quasiment 3 décennies d’une amitié constante : coup de foudre dès le départ, puis approfondissement dans le temps.
Nous nous étions rencontrés en Belgique, au hasard d’un festival de musique à Liège. Le courant était passé instantanément. Certes il y avait de nombreux points communs : petite enfance en Tunisie pour lui, au Maroc pour moi – ce qui compte beaucoup plus que l’on ne pourrait croire. La guitare depuis toujours aussi. Un certain iconoclasme également – par rapport à toutes les institutions –, qui se manifestait chez lui par un humour à la fois extrêmement fin et ancré dans une solide culture, puis brusquement trash (nous adorions improviser des contrepèteries – déformation professionnelle de tant de musiciens, car ça se rapproche du contrepoint bien sûr). Enfin, presque le même choix de prénom pour l’un de nos enfants (Emmanuel pour lui, Manoël pour nous). Tant d’autres choses aussi se bousculent, il faudrait un livre ! Si, allez, encore une : le même constat absolument, sans concession, sur le monde ghettoïsé de la guitare – ainsi que sur le monde de la composition de l’époque (j’y reviens un peu plus loin).
Mais il y avait des divergences sérieuses également, qui auraient pu nous décourager. Roland était un guerrier : « ça passe ou ça casse ! » nous avait-il dit en parlant de sa démarche, dès cette première rencontre, où il nous avait invités avec ma femme Dany à son hôtel. Aujourd’hui, ce ou s’est transformé en et, nous le pressentions déjà tous les deux, comme une prémonition, sans oser nous le dire : Roland était ainsi, entier, déterminé, sans concession. Mais il a eu la reconnaissance qu’il méritait, ô combien ! Une renommée internationale, ainsi que cette consécration que fut sa nomination comme professeur au CNSMDP, lui si hostile aux institutions auparavant.
Il saisissait un peu moins ma voie, volontairement en retrait : j’avais quitté Paris dès l’âge de 19 ans, pour vivre en voilier, puis en plein cœur de la Provence, dans une vieille bergerie troglodyte (puisque encastrée dans la colline). Éloigné de tout, afin de mieux composer justement. Question de tempérament : lui était dans l’urgence constante, il ne pouvait composer sans commande, sans échéance ; et de mon côté je préférais ne mettre aucune limite de temps, attendant que l’écriture de telle ou telle pièce, de tel ou tel passage, devienne une évidence. Pourtant il adorait nous rendre visite, seul ou avec sa première épouse Claire et ses deux premiers enfants, Emmanuel et Yael. Il pestait contre le manque de troquets (« même pas une mob ! »), mais se soumettait à notre mode de vie rustique et même spartiate ; il lui fallait dormir dans la salle de musique qui était attenante à …une grotte ! Mais dès le retour dans la capitale, il nous écrivait, plein de nostalgie, soudain attiré par cette vie plus contemplative, déplorant “Paris la grise”, “Paris la mondaine”… Et il avait toujours un mot gentil pour ma femme Dany, pour nos enfants également.
Sur le plan professionnel, nous nous rencontrions par moments au hasard des jurys, des masterclasses, même si lui était bien plus actif que moi dans tous ces domaines. Une fois, au cours d’un concert, après qu’un Ensemble de guitares avait joué une de mes pièces, et son tour d’entrer en scène étant venu, il m’avait fait la surprise de reprendre le thème principal de ce qu’il venait d’entendre en patientant en coulisses, et avait magnifiquement improvisé dessus. Lors de l’une de ses visites dans notre coin perdu, il m’avait demandé si je voulais bien lui dédier ma composition en cours : ce que je fis, la dédiant à Riant Dolens, pour croquer au plus près sa personnalité (toujours son « ça passe ou ça casse ! »)… Il a également joué une autre de mes pièces, et participé à l’un de mes disques. Mais notre collaboration musicale apparente n’est pas allée plus loin que cela.
Il acceptait mal que, désirant me consacrer corps et âme à la composition, j’aie abandonné si tôt les concerts, et me disait : « Éric, tu serais un super concertiste, personne ne peut jouer tes pièces comme tu le fais ». Lui avait fait le choix de se jouer lui-même, je le comprenais et l’admirais, mais l’énergie me manquait sans doute, et surtout mon petit doigt – celui qui ne sert pas en guitare justement (!)– me disait que l’approfondissement en écriture demandait ce sacrifice.
Mais en fait chacun de nous se devait d’être fidèle à son instinct, à sa vocation, son appel. Et Roland a été remarquable de ce point de vue-là ! Malgré nos divergences sur ces sujets, nous éprouvions un profond respect l’un pour l’autre.
Sur un plan guitaristique, nous avions tous deux pratiqué le jazz, et cerise(s) sur le(s) gâteau(x), Roland avait une solide formation en musique brésilienne ; quant à moi c’était le flamenco, depuis le Maroc. Ce qui nous avait permis à chacun d’entretenir la flamme de l’improvisation, et nous pestions contre ce monde classique qui avait abandonné cet art (à part quelques rares personnalités, et quelques corporations, comme celle des organistes par exemple) ; art si noble qui s’était au fil des siècles effiloché dans le monde de la musique classique occidentale.
Et là, Roland a littéralement révolutionné les concerts de guitare classique, où l’on s’endormait si souvent avant lui : l’improvisation est une extraordinaire école d’interprétation, car on entend le son avant le son, ce qui permet une détente et une attention parfaites pour interpréter les pièces les plus savantes : il y a un avant et un après Roland Dyens.
Le plus important – de mon point de vue –, était notre constat pleinement partagé sur le monde de la composition, lorsque culminaient (et donc commençaient à décliner) les terribles diktats intellectuels de certains musiciens (mais le XXème siècle a pulvérisé tous les records de ce type, et dans bien d’autres domaines !).
Par contre, nos façons de nous en émanciper étaient assez différentes là encore : Roland avait pris le contrepied exact, et ne jurait plus que par la stricte tonalité ; mais il a su par son art très subtil de l’arrangement – en revisitant les chansons françaises par exemple, Gainsbourg, Brassens, etc. –, créer autant de petits chefs-d’œuvre qui resteront des phares musicaux pour des générations de guitaristes.
Il saisissait un peu moins le fait que je m’intéresse tant aux grands maîtres comme Messiaen, Dutilleux entre autres. Il les aimait beaucoup pourtant, mais pensait qu’ils avaient poussé ce type d’écriture au paroxysme, et qu’il fallait se placer sur un tout autre terrain, ce qu’il faisait avec brio comme je l’ai dit. Nous pouvions discuter des nuits entières là-dessus : j’étais tout aussi révolté que lui contre ces diktats, je lui clamais « j’irai apprendre la musique chez les sauvages ! ». Mais au-delà de cette pirouette, il n’y avait pas – il n’y a pas – de réelle rupture en musique (pas plus que dans toute expression que prend la vie d’ailleurs) : je ne pouvais rester dans la seule révolte, je sentais qu’il fallait que j’aille plutôt au bout de ma révolution, au sens étymologique du terme.
Ces discussions resteront comme une source de lumière dans ma vie, maintenant que tu es parti, Roland : tes arguments étaient tout aussi valables que les miens, nous avons chacun suivi nos vocations profondes (et tu continues ton chemin ailleurs à présent – et je t’espère divinement surpris au passage, toi qui raillais avec humour les filons parfois mystiques que me faisait entrevoir l’écriture…).
Merci Roland, pour cette amitié que tu nous a donnée sans compter, à Dany et à moi, et plus généralement pour celle que tu as su prodiguer si généreusement à toute une génération, et à celles qui viennent, qui peuvent te jouer, et t’écouter au travers de tes enregistrements. » □
|
Portfolio
Nos remerciements à Laura DYENS-TAAR, qui a l’obligeance de nous communiquer les meilleurs liens concernant la disparition de son frère Roland DYENS. |
LIENS :
PRESSE :
RADIOS :
|
Partager sur :