CASTILLON Alexis de
Alexis de Castillon [1838-1873]
Marie Alexis de Castillon de Saint-Victor
Tiré de l’oubli : Alexis de Castillon
Marie Alexis de Castillon de Saint-Victor
La vie brève d’un rénovateur
Marie Alexis de Castillon de Saint-Victor (1838-1873) fut victime à 35 ans d’une épidémie de grippe1. Nous aurions bien aimé qu’il en soit tout différemment : qu’Alexis résiste et donne avec sa maturité musicale tous les espoirs que laissaient entrevoir ses premières œuvres, on ne sait pourquoi, toujours mal accueillies par le public.
Tant de jeunes poètes et artistes furent emportés prématurément par les guerres meurtrières du début du XXe siècle ou des maladies que ces temps ne savaient qu’imparfaitement circonscrire. Nous pleurons les pages perdues de l’auteur de La Maison des Glycines, Émile Despax de Mées (Landes), celles de l’ami de jeunesse de Darius Milhaud, Léo Latil et de tant d’autres encore. On peut vouloir comparer la brève existence d’Alexis de Castillon à celle de Charles Guérin, qu’une maladie foudroya à 33 ans, et plus encore à celle de Guillaume Lekeu, emporté par la fièvre typhoïde à 24 ans. Un talent d’un sobre lyrisme s’envolait et nous privait d’une œuvre majeure.
Depuis la parution de l’enregistrement du Concerto pour piano d’Alexis de Castillon, sous les doigts magiciens d’Aldo Ciccolini, j’avoue entretenir un attachement sentimental pour ce musicien oublié, que la brièveté de vie n’aura pas autorisé à nous léguer une œuvre abondante.
Ses quelques partitions, retardées par une première vocation militaire (Saint-Cyr), à laquelle il renonce en 1861, n’en demeurent pas moins des œuvres raffinées, viriles et pleines de cet esprit d’une école française en pleine reconquête. Elle a une parenté évidente et préfiguratrice – nourrie de plus d’âpreté, mais tout aussi riche mélodiquement – avec celle de René de Castéra2 (1873-1955). Lorsqu’au cœur de ces pages, reflets de leurs temps respectifs, surgit soudain une cantilène… aux subtiles inflexions trouvant leurs références chez Schumann ou Brahms, il en est comme d’une percée de lumière en sous-bois, créant, dans le langage musical, une sorte de clairière enchantée. Ces thèmes prégnants de mélancolie ne perdent jamais la liberté d’un style proprement français, exempt d’emphase.
Si, dans le Quintette pour piano et cordes, daté de 1863, les experts relèvent quelques maladresses ou longueurs communes à un premier opus, le charme opère sans s’exonérer d’une hauteur qui prend ses sources dans le Quintette op. 14, de 1855, de Camille Saint-Saëns et dans l’opus 44 de Robert Schumann3.
Le Quatuor avec piano en sol mineur op. 7, achevé en octobre 1869, est imprégné de l’influence de son maître César Franck, tout en se souvenant du Quatuor avec piano op. 47 de Schumann4. Page essentielle de la musique de chambre française, son entrée au répertoire me paraît s’imposer pour réparer un grave préjudice fait tant au musicien qu’au mélomane.
Ce quatuor avait déjà fait l’objet de deux enregistrements. J’avais fait l’acquisition avec empressement de celui interprété par le Quatuor Élyséen et couplé avec le Quatuor op. 30 d’Ernest Chausson, publié par Arion, en 1991.
Même si, comme nous l’évoquions, Alexis de Castillon n’eut pas le loisir de concevoir une œuvre abondante, beaucoup d’opus demeurent encore méconnus, dont plusieurs pièces de musique de chambre (deux trios, un quatuor à cordes) et symphoniques. La curiosité manifestée par Laurent Martin et le Quatuor Satie devrait inciter les éditeurs et les interprètes à exhumer l’œuvre de ce musicien.
Castillon en sa qualité de co-fondateur et secrétaire, en 1871, de la Société Nationale de Musique, aux côtés de Camille Saint-Saëns, Jules Massenet, César Franck, Henri Duparc… aurait mérité de demeurer en nos mémoires. Il avait le sentiment que la musique française trouverait sa régénérescence et sa noblesse par la musique de chambre et par le répertoire symphonique, en se tournant vers le meilleur de ce qu’offraient alors les compositeurs d’Outre-Rhin, et en particulier Robert Schumann.
Voici un très beau disque5 salué par la presse spécialisée, autant pour l’originalité du programme qui nous permet de découvrir deux œuvres de haute tenue et attachantes d’Alexis de Castillon, que pour l’interprétation de Laurent Martin associé au Quatuor Satie.
C’est le quarantième disque du pianiste Laurent Martin, grand serviteur de notre patrimoine musical, comme Blanche Selva le fut autrefois. Il affectionne Schumann et d’autres grands musiciens mais donne le meilleur de lui-même à ces pages oubliées ou secrètes de notre répertoire. Dans son panorama musical apparaissent les noms de Caplet, Magnard, Gounod, Onslow, Mel Bonis, Théodore Dubois ou encore Mompou.
N’oublions pas de saluer, en même temps que ce très bel enregistrement, un précédent album consacré aux Pensées fugitives6 du même et trop rare Alexis de Castillon.
Nous ne devrions plus ignorer ce musicien à la vie trop brève, mais qui demeure un des très talentueux et captivants rénovateurs de l’école française.
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Portfolio
« … Le tempérament d’Alexis de Castillon était celui d’un musicien-poète. Il apparaît parfois très proche de Schumann, ce qu’atteste en tout cas son Concerto pour piano dont la structure très libre n’est que le cadre d’une effusion mélodique d’une étonnante générosité. Comme dans le Concerto en la mineur de Schumann le piano semble chanter à perdre haleine et ce ne sont pas les interventions de l’orchestre qui pourraient endiguer ce flux lyrique. Certes on perçoit ici un tempérament énergique qui justifie le mot de l’éditeur Hartmann : « C’eut été un Beethoven ! ». […] Quelques mois après ce concert (création du Concerto pour piano, op. 12 interprété par Camille Saint-Saëns sous un tumulte incompréhensible), Alexis de Castillon acheva ses Esquisses symphoniques. Là encore le compositeur emploie la formule cyclique chère à César Franck… mais la couleur de l’orchestre n’est pas franckiste, elle fait penser à L’Arlésienne de Bizet. Aussi, faut-il bien se convaincre que le compositeur qui s’était enrichi au contact de la musique allemande, n’avait pas renié ses origines. D’un côté le romantisme éperdu du Concerto pour piano, de l’autre ces pages dont la netteté et l’élégance montrent les attaches classiques d’Alexis de Castillon : c’est dire quel musicien nous avons perdu avec cet artiste mort trop tôt pour avoir pu donner sa pleine mesure. », Jean ROY, livret L’Esprit Français EMI Classics du Concerto pour piano et orchestre et des Esquisses symphoniques. Au piano : Aldo CICCOLINI. Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, direction Georges PRÊTRE.
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