CASTÉRÈDE Jacques
Jacques CASTÉRÈDE (1926-2014), compositeur
◊ Blog consacré au compositeur
◊ Entretien de Jacques Castérède avec Ludovic Florin
Jacques Castérède
Pierrette Germain-David
Chez Jacques Castérède les qualités du compositeur font écho à celles de l’homme et peuvent être parallèlement évoquées. Jacques était généreux ; son œuvre, abondante, concerne un vaste éventail instrumental. Elle s’adresse à tous les interprètes de son époque dont beaucoup étaient ses amis. Ainsi le Concerto pour 2 pianos et orchestre fut-il joué par Geneviève Joy et Jacqueline Robin, Figures par le claveciniste Robert Veyron-Lacroix, la Sonate pour alto et piano par Marie-Thérèse Chailley (et l’auteur, excellent pianiste lui-même) puis Thélonius Monk par Hervé Billaut.
Jacques possédait un esprit curieux ; son œuvre s’inspire souvent des lieux, des êtres, des images qu’il appréciait. Ainsi de l’univers calme et sobrement éclairé de Corot pour lequel, dans Mortefontaine ou L’Église dans les arbres, il inventa des équivalences harmoniques et instrumentales. De même fait écho au monde du jazz, dont il goûtait l’authenticité et la vitalité, l’Hommage à Thélonius Monk (commande pour le Concours Marguerite Long ̶ 1983), hymne à une rythmique ardente.
Deux œuvres majeures rendent compte du sentiment religieux de Jacques Castérède : les Liturgies de la Vie et de la Mort de 1980 et les Trois Visions de l’Apocalypse de 1984 pour 4 trompettes, 4 trombones, tuba et orgue.
Jacques dissimulait avec pudeur les émotions qui appartiennent au mystère de l’être. J’ai vu la souffrance éprouvée dans un moment cruel de sa vie se refléter dans ses yeux, en silence.
Toutefois des traits d’humour pointaient-ils souvent dans son visage souriant. Ainsi pour définir son parcours esthétique répondit-il un jour : « Je suis ma pente en la montant », image d’un style dont l’unité vient d’une mélodie expressive, d’une rythmique ferme et d’une harmonie dont l’auteur précise ainsi l’évolution : « Je suis parti d’une musique à tonalité « élargie » pour m’orienter vers plus de cohérence du langage par l’emploi, entre autres, d’échelles modales chromatiques ».
Des remarques qu’il proposa sur ses intentions de créateur, la plus explicite est peut-être celle qui concerne le quatuor avec piano Avant que l’Aube ne vienne : « Laisser la place au rêve ». ◊
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Hommage à Jacques Castérède
Réunis aujourd’hui avec tristesse dans le souvenir de Jacques Castérède nous remercions tous ses amis interprètes et compositeurs qui vont jouer tout à l’heure pour lui rendre hommage et, en particulier, Eric Lebrun qui a permis ici l’organisation de cette douloureuse rencontre.
A la photo qui figure sur la page de programme que nous avons en mains se mêlent des images que nous allons tous feuilleter en nos mémoires : elles viennent des lieux d’élection de Jacques, du Conservatoire pour ses collègues et ses élèves, de Barbaste pour ses proches, de Nérac pour les familiers du Festival de Musique en Albret, de Bretagne, de New York où il honora la statue de la Liberté… Mais, en même temps que ces images nous étreint le souffle encore très présent de l’homme que nous avons connu et d’abord celui du compositeur, sûr de sa voie, fidèle à sa singularité, qui proposait de « suivre sa pente en la montant ! », dont l’activité de créateur se voulait « subjective et spontanée ».
Spontanée aussi restera en nos cœurs sa générosité, celle de l’homme attentif à ceux qui l’entourait, de l’homme au caractère rigoureux mais bienveillant qui attirait la sympathie, de l’homme à la pensée élégante, discrète et subtile.
Jacques vibrait d’une sensibilité qui se teintait d’humour. Je viens de regarder la courte page musicale qu’il avait écrite par plaisanterie à l’occasion du « réveillon du siècle », Ascenseur d’hôtel pour l’an 2000 : grandes gammes en fusées ascendantes et descendantes puis, après une dernière descente ritenuto, un choc brutal (le bog redouté !) « frapper avec le plat de la main dans l’extrême grave » suivi de cette notation : « ascenseur et passagers hors service ! ».
Non, cher Jacques, au-delà de l’épreuve, tu survis pour nous grâce à ta musique. ◊
In memoriam
Souvent, plongeant dans les souvenirs enfouis, et nous efforçant de préciser les contours d’un visage disparu, une seule image ou impression s’impose, qui domine tout le reste, et dont tout le reste découle. Dans le cas de Jacques Castérède, elle tient en un mot : la délicatesse. Non pas le maniérisme de la délicatesse, mais un authentique raffinement du cœur et de l’esprit qui conditionnait, par son statut d’antériorité, toutes ses actions, que ce soit celles du compositeur, du professeur ou du pianiste interprète.
Une réserve, voire une austérité dans l’attitude, était démentie par la chaleur du regard et l’empathie spontanée qui préludait à son rapport aux autres ; un dualisme — pudeur et expressivité, retenue et aveux des aspirations essentielles — que l’on retrouvait inévitablement dans son art, entièrement tributaire de cet équilibre singulier.
Je n’étais pas un proche de Jacques, mais quelques moments ont suffit pour s’imprimer durablement dans la mémoire, et faire naître de part et d’autre des sentiments réellement affectueux. Deux évocations demeurent présentes : un “Concert de Midi” dans l’amphithéâtre Richelieu de la Sorbonne, où j’avais remplacé au pied levé Marie-Thérèse Ibos dans les quatuors de Beethoven et de Fauré, avec lui au piano et aux côtés de Marie-Thérèse Chailley et de Georges Schwartz ; et aussi une page pour violon seul qu’il avait écrite à la mémoire du compositeur André David et que j’avais créée au festival Nancyphonies le 1er août 2009. Quelques jours auparavant, j’étais venu la lui jouer chez lui, à Boulogne, rue Pierre de Coubertin. Nous avions affiné le dessin des lignes très pures de la partition, dans une atmosphère tout à la fois détendue et studieuse.
Rien ne laissait présager l’arrivée de la maladie qui le frapperait peu de temps après.
Ce fut notre dernière entrevue, et cet adieu, qui n’en était pas un, colore à jamais mon souvenir ; celui d’un être ennemi de toute grandiloquence, et dont l’oeuvre a su tracer sa route à travers le paysage très diversifié de la musique française, à la fin du XXe siècle. ◊
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