CASTÉRÈDE Jacques
Entretien avec le compositeur Jacques CASTÉRÈDE
Ludovic FLORIN, 2005
Vincent Wimart est un jeune compositeur que je connais depuis le lycée. Excellent musicien, il me parle et me fait découvrir depuis longtemps les œuvres de son professeur de composition : Jacques Castérède. Avec l’aide de Vincent, et grâce au bulletin de notre association, je me suis dit qu’il y avait là le moyen de faire une interview de ce maître dont la musique est trop peu diffusée à mon goût (et aux vôtres, je suppose). Et de fait, lors de notre premier contact téléphonique, Jacques Castérède accepte bien volontiers ma proposition. Rendez-vous est donc donné au domicile de ce dernier, le 21 septembre 2005 à 15 heures. L’accueil et l’entretien sont charmants, reflet d’une âme admirable. Je peux lui poser toutes sortes de questions, transcrites dans les lignes qui vont suivre, en espérant qu’elles vous inciteront à réécouter ou à porter votre attention sur des pièces singulières telles que l’Hommage à Thelonious Monk pour piano, la Chanson du mal aimé ou encore un quatuor pour cordes et piano intitulé Avant que l’aube ne vienne. N’est-ce pas là l’une des missions les plus fondamentales de notre association ?
Les Amis de la Musique Française : Êtes-vous issu d’une famille de musiciens, et comment avez-vous commencé à jouer de la musique ?
Jacques Castérède : Ma famille, intégralement du Lot-et-Garonne, est d’origine modeste. Ma grand-mère était servante et mon grand-père était tailleur. Mon père devint coiffeur, et après la première Guerre mondiale, il quitta son village natal (Balbast) pour la capitale, accompagné de sa femme, originaire du même village. Lors d’un Noël parisien, je reçus un petit piano mécanique pour enfant. On remarqua rapidement que, contrairement aux habitudes enfantines, je ne jouais pas n’importe quoi, mais que je tentais de trouver des choses un petit peu moins informelles. Ma mère décida alors de me faire prendre des leçons de musique. Par l’intermédiaire de mon père qui, comme coiffeur, connaissait beaucoup de monde, je reçus des leçons particulières de deux femmes, une mère et sa fille, de quatre à quinze ans, rue Lecourbe. Rapidement, je me mis à composer sans rien connaître de l’harmonie ni du contrepoint, vers l’âge de dix ou douze ans. Je notais des petits fragments qui semblaient venir de moi, mais qui, en réalité, s’inspiraient instinctivement de ce que je jouais, sans pourtant avoir l’impression d’imiter.
Adolescent, doué paraît-il pour les mathématiques, il fallut que je choisisse entre la musique et les sciences après mon baccalauréat. C’est alors qu’un concert de Marcel Ciampi décida de ma destinée. Etrangement, j’allais peu aux concerts jusqu’alors. Or là, je fus ébloui par ce récital, tout en mesurant la distance qui me séparait, dans ce que je faisais au piano, d’un virtuose de cet ordre. Ce fut le déclencheur qui m’a orienté vers la musique, d’autant plus que je multipliais les choses que j’écrivais. Mes parents ne s’y sont pas opposés, mais il a d’abord fallu que j’obtienne mon baccalauréat. Je suis ensuite allé voir Jeanne-Marie Darré qui m’a fait travailler ma technique pianistique. Pendant un an, j’ai donc passé mes journées devant le piano, au régime de six ou sept heures par jour et d’un cours par semaine. Enfin, quand je me suis présenté pour la première fois au Conservatoire de Paris, j’ai eu la chance d’y entrer, en jouant au deuxième tour le premier mouvement de l’opus 111 de Beethoven. J’ai ensuite suivi la filière.
Instinctivement, je continuais de composer mais cela s’organisait un peu plus. Comme tout bon compositeur, je voulais acquérir une technique solide et me suis donc orienté vers les classes d’harmonie, de contrepoint et de fugue. Après l’obtention de mes prix, je suis ensuite entré dans la classe de composition de Tony Aubin. Je composais vraiment, avec cette fois une base technique acquise et solide. Rapidement, après mon service militaire, on m’a incité à passer le Prix de Rome. Lors de ma seconde tentative, j’ai obtenu le Premier Grand Prix. Là, c’était parti !
A.M.F. : Quelles sont vos motivations lorsque vous composez ? Est-ce par exemple un texte, un événement ? Qu’est-ce qui vous influence le plus dans votre travail si vous préférez ?
Jacques Castérède : J’ai beaucoup écrit d’œuvres qui n’avaient pas de motif extra-musical, parce que j’avais des idées musicales thématiques que je trouvais bien, et qui faisaient que j’avais envie tout simplement de les noter sur le papier. C’est d’ailleurs resté fondamental chez moi. Mais bien sûr, il m’est arrivé par la suite de composer sur des textes, pour des circonstances précises comme pour mon ballet But, monté à l’Opéra en 1963, qui est la mise en musique d’un match de basket. On m’a fait des commandes aussi, souvent de musique pure. Beaucoup pour de la musique de chambre, et peu pour orchestre d’ailleurs.
A.M.F. : Comment préparez-vous votre travail ?
Jacques Castérède : C’est une association de choses assez complexes. Je note des idées, puis j’essaie de me mettre dans la situation de quelqu’un qui écouterait ma musique. En imagination, je suis assis dans une salle de concert, j’entends ce que j’ai déjà écrit, et je continue comme cela. De plus, comme pendant mes années au Conservatoire j’ai aussi suivi pendant deux ans la classe d’analyse d’Olivier Messiaen, ce que j’écris depuis est mieux structuré.
A.M.F. : Vos formes sont-elles classiques ou vous inventez-vous vos propres formes ?
Jacques Castérède : Il m’est arrivé de suivre des formes classiques, mais souvent en les faisant déraper. Ou alors, selon l’idée, celle-ci m’entraîne dans une forme non consacrée par le classicisme, mais qui n’était pas de l’improvisation notée, bien que cela puisse démarrer de l’improvisation.
A.M.F. : Avez-vous un endroit ou un moment précis où vous aimez composer, comme une sorte de rituel ?
J.C. : Non, je n’ai pas de rituel dans mon travail. Même si je ne compose par forcément au piano, il me faut un clavier car je contrôle souvent. Il me faut aussi la sensation d’avoir le temps, sinon je ne commence rien. Je ne peux pas commencer trois mesures, les laisser, puis les reprendre plus tard. Une fois que j’ai démarré quelque chose, je vais jusqu’au bout.
A.M.F. : Comment décririez-vous ou définiriez-vous votre musique ?
Jacques Castérède : Je suis mal placé pour la définir. Mais en général, elle a toujours un substratum mélodique. Parce qu’au fond, je suis un mélodiste. Avant même d’être professionnel, j’adorais écouter de la musique, mais j’aimais d’abord les œuvres où il y avait une thématique. Je suis encore un peu resté comme cela. Maintenant, bien entendu, j’ai élargi mon champ d’action.
A.M.F. : Quelles sont les deux ou trois œuvres auxquelles vous tenez particulièrement ?
Jacques Castérède : Ce sont des œuvres de musique de chambre puisque j’ai beaucoup écrit dans ces formats. Ainsi, il y a une Sonate pour alto et piano que j’estime avoir bien réussie. Et aussi une Sonate pour violoncelle et piano, un quatuor avec piano qui s’appelle Avant que l’aube ne vienne. Il y a aussi des œuvres pour cuivres, car j’aime assez les cuivres, et notamment une œuvre que j’avais faite quand j’étais encore au Conservatoire et qui surnage puisqu’elle vient d’être enregistrée. Ce sont les Trois fanfares pour des proclamations de Napoléon avec un récitant. Ou encore, Trois visions de l’Apocalypse, une commande de l’ensemble de cuivres de Vérone. La formation m’était imposée avec quatre trompettes, quatre trombones, un tuba et orgue. Je suis toujours assez content de me plier à une obligation parce que cela limite un petit peu mon espace de composition, et puis cela m’oppose une résistance qui est favorable quelque fois à l’invention.
A.M.F. : Parmi quel(s) courant(s) pensez-vous ou désirez-vous vous inscrire ?
Jacques Castérède : Les gens qui écrivent sur la musique m’ont toujours dit qu’on me classait parmi les indépendants parce qu’on ne savait pas comment me classer. Je n’ai pas mordu du tout à l’esthétique sérielle-dodécaphonique, même si on peut trouver dans certaines de mes œuvres des passages utilisant la série et qui sont venus comme cela.
A.M.F. : Vous étiez justement un jeune créateur dans cette période des années 50-60 où le sérialisme s’imposait un petit peu partout. Comment, en tant que compositeur, avez-vous vécu ce moment ?
Jacques Castérède : Très mal. Parce que cette vague s’est assortie d’une intransigeance ; tout d’abord de la part de ses promoteurs qui avaient déclaré que c’était la seule forme de musique possible et qu’il n’en existait pas d’autres ; et ensuite de la part des organisateurs de concerts, qui les ont crus sur parole et qui ont barré le chemin à toute autre forme de musique. Je n’étais pas le seul d’ailleurs dans cette situation. Je l’ai assez mal vécue, encore qu’à la radio, deux responsables n’aient pas « marché dans la combine ». Il s’agissait de Pierre Capdevielle pour la musique de chambre et Henry Barraud pour la musique symphonique. Ils sont restés fermes, et j’ai toujours eu leur appui pour aller au-delà de cette vague. Ils ont fini par partir en retraite, et ensuite, cela a été le vide. Les dernières choses que j’ai écrites et qui furent jouées en concert à la radio, furent mon deuxième concerto pour piano et orchestre et la Chanson du mal aimé l’année précédant leurs départs en retraite.
A.M.F. : Vous n’avez donc pas pu vivre uniquement de vos compositions ?
Jacques Castérède : Non, parce que, lorsque je suis rentré de Rome, il fallait que je gagne davantage ma vie qu’avec la composition. On peut le faire si on écrit de la musique de film, de spectacle ou de variété. Mais en musique classique, il faut arriver à une certaine notoriété, voire même de la célébrité pour arriver à gagner de l’argent avec sa musique. Et encore, tout le monde n’écrit pas le Boléro. Donc, j’ai enseigné. Je me suis présenté comme professeur au Conservatoire selon les places disponibles. Lors de ma troisième candidature, j’ai obtenu une classe de solfège pour chanteurs pour lesquels j’ai enseigné pendant quatre ans. J’en conserve d’ailleurs un bon souvenir car il y avait parfois du pittoresque chez mes étudiants. En 1965, Raymond Gallois-Montbrun, qui venait d’être nommé directeur, avait créé deux nouvelles classes qui s’appelaient « Professeurs conseillers aux études », à mi-chemin entre l’administration et les classes, une fonction tampon entre les professeurs, les élèves et l’administration. Je fus nommé avec Claude Pascal. J’y suis resté de 1966 à 1971, et comme l’administration ne me plaisait guère (bien qu’y travaillant consciencieusement) avec des différends à régler, je m’en étais ouvert à Gallois-Montbrun. C’est lui qui me proposa donc de me présenter pour la nouvelle classe d’analyse qui devait ouvrir. Nommé, j’ai donc enseigné pendant vingt ans dans l’une des trois classes d’analyse existantes.
A.M.F. : À partir de ce moment-là, est-ce que le fait d’enseigner l’analyse a eu une influence sur votre façon de composer ou de penser la composition ?
Jacques Castérède : Je l’ai pensée d’une manière plus consciente, mais cela ne m’a pas fait dévier dans ma façon de composer. En fait, j’ai dérapé plus consciemment ! Enfin, cela n’a pas changé grand-chose. Depuis que je composais disons « sérieusement », une fois l’œuvre terminée, quand je la regardais, j’étais capable de l’analyser. Donc, sur la matière musicale même, cela n’a pas eu d’influence. Néanmoins, j’ai eu une évolution, comme tout compositeur en a une, sur ma manière de m’exprimer, sur les idées, le langage. Pendant un moment, je me suis laissé tenter par le système dodécaphonique, et j’ai vite vu que cela n’était pas mon « truc », alors je n’ai pas insisté.
A.M.F. : Pensez-vous que les compositeurs exercent une influence sur notre société ?
Jacques Castérède : Je ne pense pas, non. C’est plutôt la société qui a une influence sur les compositeurs. Je dirais presque que la musique est un produit de l’évolution de la société.
A.M.F. : Et selon vous, le rôle d’un compositeur comme vous l’êtes a un rôle plutôt social ou spirituel ?
Jacques Castérède : Je dirais que c’est un rôle qui a toujours été celui des compositeurs. La personne qui vient au concert n’y vient pas pour s’ennuyer. Elle vient donc pour écouter quelque chose de nouveau, mais qui la touche suffisamment pour lui donner éventuellement l’envie de l’entendre une autre fois. Comme l’art pictural, la musique a un rôle de satisfaction pour l’auditeur dans tous les sens du terme, et pas seulement superficiel. Il faut que l’auditeur quitte la salle en se disant, si l’œuvre est réussie : « J’ai eu grand plaisir à entendre cette œuvre, j’aimerais l’entendre une autre fois ».
A.M.F. : Qu’est-ce qu’être un compositeur pour vous ?
Jacques Castérède : Être un compositeur, c’est avoir des idées, les organiser suffisamment bien pour que cela fasse l’objet d’une pièce, même quand le public est incapable d’analyser ce qu’il entend, et c’est bien sûr le cas à 99 %. En tout cas, avoir l’impression d’avoir entendu quelque chose qui n’était pas n’importe quoi, qui « tenait debout ». Et que cela avait suffisamment atteint psychologiquement ce qu’on nomme la beauté ou la force dramatique, en tout cas quelque chose qui dépasse la satisfaction intellectuelle pour atteindre quelque chose de plus profond.
A.M.F. : Comment percevez-vous les courants contemporains, ce qu’on nomme la Nouvelle musique, la post-modernité, les néo-tonaux ?
Jacques Castérède : Tout cela, ce sont des étiquettes. Avant d’être une étiquette, écoutons d’abord les œuvres et on verra après. Cela obéit à une manie de classement, et je me sens rebelle à tout classement. J’ai eu l’occasion d’entendre des œuvres de ces différents classements. Certaines m’ont profondément rasé, d’autres m’ont plu au point que j’ai eu plaisir à les réentendre.
A.M.F. : Alors quels sont vos compositeurs préférés en ce moment ?
Jacques Castérède : J’ai toujours beaucoup aimé Olivier Messiaen, même s’il est mort maintenant. Je l’ai connu quand il avait quarante-cinq ans. J’ai entendu ses Trois petites liturgies de la présence divine en première audition. J’ai été vraiment ébloui par cette œuvre. Il y a aussi Ligeti. Certaines œuvres de Boulez m’ont accroché, mais pas les premières. Il s’est assagi par la suite. Avec le temps, je trouve que la musique de Boulez finit par ressembler à celle de Dutilleux. Chez ce dernier, j’aime ses Métaboles ou sa Sonate pour piano et sa Première symphonie. Parmi les plus jeunes, il y a Olivier Greif par exemple. Je le connaissais bien et j’appréciais sa musique même dans ce qu’elle avait parfois d’excessif, de trop long ou quelquefois avec des ruptures de style. Mais sa personnalité était comme cela.
A.M.F : Quel(s) message(s) auriez-vous envie de donner aux jeunes compositeurs ?
Jacques Castérède : S’ils ont envie d’écrire, qu’ils écrivent ! Ils trouveront toujours moyen de se faire jouer.
A.M.F. : À quoi travaillez-vous en ce moment ?
Jacques Castérède : Je travaille actuellement sur une commande que je n’ai pas encore commencée à écrire, pour trio d’anches et orchestre d’harmonie. Je rassemble quelques idées pour l’instant.
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