MORALY Stéphanie, rencontre avec Olivier GREIF
Stéphanie MORALY & Romain DAVID | ||
Ma rencontre avec la musique d’Olivier Greif,
ou la petite histoire à l’origine du disque « The Meeting of the Waters »
Stéphanie Moraly
18 avril 2021
Lorsque j’en remonte le fil, ma rencontre avec la musique d’Olivier Greif semble répondre à une telle obstination du hasard que je ne peux m’empêcher de penser à une forme de Destin y apportant un coup du pouce.
Comme pour nombre d’entre nous, la première œuvre de Greif qu’il m’a été donné d’entendre a été un immense choc. Je donnais du Liszt avec voix, orgue et harpe au Festival d’Art Sacré de Paris et, en deuxième partie, résonna le Requiem pour double chœur mixte a cappella.
Bouleversement.
Je me souviens encore de la sensation d’être plaquée à la colonne de Sainte-Clotilde à laquelle j’étais appuyée par une vague puissante et de musique si poignante qu’elle n’était plus qu’émotion.
Submergence de la musique de Greif.
Je suis rentrée chez moi hagarde, sans avoir aucune idée de ce que je venais de vivre : la création française d’un chef-d’œuvre (2004), dont je n’avais jamais entendu le nom de l’auteur. Quand j’y repense aujourd’hui, je me vois comme une sorte d’absurde Fabrice Del Dongo traversant la bataille de Waterloo sans y rien comprendre… Je réalise que toute la famille musicale d’Olivier Greif devait être dans l’Église ce soir-là, je me souviens que j’étudiais alors avec Alexis Galpérine sans savoir les liens qui unissaient les deux hommes… de tout cela, je n’ai rien su.
Quelques années plus tard, alors que j’étais plongée dans mes recherches sur la sonate française pour violon et piano, le nom d’Olivier Greif m’a sauté aux yeux du fichier de la BnF que je consultais et, plus encore que celui du compositeur, ce titre énigmatique que porte sa troisième sonate : « The Meeting of the Waters ».
Deuxième bouleversement.
Et intuition profonde que j’avais tiré un fil qu’il ne fallait pas lâcher.
Les minutes qui suivirent ressemblèrent à une quête impatiente de confirmation. Sentiment aussi inexplicable qu’inébranlable que j’allais être liée à cette sonate. Catalogue de la BnF, site de l’Association Olivier Greif… Je n’ai pas encore entendu une note de The Meeting of the Waters, mais c’est un chef-d’œuvre, j’en suis persuadée. Je vois que Greif a composé 2 sonates avant celle-ci, il y a un véritable corpus, je veux tout enregistrer.
S’en suit une série de démarches dont l’aplomb presque effronté me ressemble si peu que j’ai du mal à m’y reconnaître aujourd’hui. J’écris à feu Thierry Ansieau. Je lui dis que je vais enregistrer les trois sonates de Greif (de lui, je n’ai encore entendu que le Requiem, cinq ans auparavant…). Je ne dis pas que je veux ou voudrais… je vais. Je suis poussée par une sorte d’évidence que je ne parviens pas à expliquer, mais la certitude est là.
Il me propose de venir chez lui, et il me fait écouter « Meeting »…
Troisième bouleversement.
C’est bien un chef-d’œuvre, mais ça l’est avec un tel feu intérieur, une telle force d’émotion, une telle puissance musicale et une telle sincérité que je reste clouée au canapé.
La main qui me pousse dans le dos continue son œuvre, et je m’entends dire à Thierry « je vais l’enregistrer avec Romain David », avec qui pourtant je n’avais pas joué depuis quelques années. Je vois la lumière s’allumer dans les yeux de Thierry, et le projet s’enclenche sur ce coup de dé.
Je sors de son appartement et, encore dans la cage d’escalier, j’appelle Romain David : « je viens d’entendre un chef-d’œuvre absolu, enregistre-le avec moi ». Romain connaissait mieux que moi la musique de Greif par Syntonia, dont je ne faisais pas encore partie à l’époque. Il me donne un « oui » de principe, et nous revenons tous deux chez Thierry Ansieau quelques jours plus tard pour écouter ensemble la fameuse Sonate.
Romain ressent ce que je ressens. Le coup de foudre est le même ; pour moi, il est même plus fort que la première fois, signature des vrais chefs-d’œuvre dont on perçoit d’autant mieux la grandeur qu’on apprend à les connaître.
L’histoire de notre premier disque ensemble, « The Meeting of the Waters » (L’Intégrale de l’œuvre pour violon et piano, Triton, 2010) est lancée.
Pourquoi, comment ? C’est une question que je ne me suis à aucun moment posée durant tout le travail de préparation de ce disque. Ce n’est qu’aujourd’hui, alors que plus de dix ans ont passé, que je m’interroge sur cette conviction si forte et si intuitive qui m’a poussée avec vigueur dans une démarche presque impertinente d’audace. Je ne savais rien, je n’ai rien su. Je n’ai même pas eu l’idée d’évoquer ce projet avec Alexis Galpérine, qui pourtant avait travaillé sur Meeting avec Olivier, écrivant même pour lui certaines des « fusées » du violon… Nous n’en avons parlé ensemble que très récemment, alors que je lui offrais mon second disque Greif (Quintette « A Tale of the World », CiAR classics, 2020).
Parfois, notre vie semble croiser celle d’un compositeur, ou celle d’une de ses œuvres, qui paraît nous « parler », faire résonner en nous une fibre jusque-là endormie. C’est inexplicable, et cela semble se situer à un niveau qui nous dépasse de très loin, peut-être à celui que certains appellent… l’âme.
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