Raphaël Cluzel, Coutras©Denise Bouchet-Kervella

Raphël CLUZEL (1932-1996)

Fils adoptif du compositeur Henri SAUGUET, Raphaël CLUZEL était poète, scénariste et dialoguiste

 Hommage à Raphaël Cluzel

Fils adoptif d’Henri Sauguet, Raphaël Cluzel lui vouait un amour infini et sut l’accompagner d’une indéfectible tendresse jusqu’à sa mort. Il lui témoignait aussi une admiration éperdue, qui le poussait à s’effacer dans l’ombre du grand compositeur, au point que beaucoup, dans leur entourage, s’étonnèrent de découvrir, au fil du temps, qu’il était lui aussi un créateur, lorsqu’il écrivit l’argument de deux ballets du Maître (La Solitude et L’Arbre, créés en 1979 et 1981 au Mai Musical de Bordeaux), puis lorsque celui-ci mit en musique certains de ses poèmes (Sept chansons de l’alchimiste, Musique pour Cendrars, Dans la maison de paix, Mille-neuf-sentimental).

Pourtant, l’écriture était depuis toujours au centre de la vie de Raphaël, tout comme la musique l’était pour Henri. Déjà au lycée, il s’essayait à des pièces de théâtre et à la poésie. À l’instar des premiers envois du jeune Henri à Darius Milhaud, il eut l’audace, dès l’âge de vingt-et-un ans (en 1952), de montrer les premiers poèmes qui lui paraissaient dignes de l’être à Jean Cocteau, qui l’encouragea, le prit en amitié et le soutint par de magnifiques lettres dans la dure expérience de son service militaire en Algérie. Cocteau était l’un de ses maîtres, l’autre était Max Jacob. Et c’est à l’occasion de la réalisation par Raphaël d’un court-métrage (commandé par Pathé) sur le poète et peintre de Quimper que se fit sa rencontre avec Henri Sauguet en 1976, rencontre qui bouleversa sa vie.

Mais sa profonde affinité pour la musique avait déjà conduit bien auparavant Raphaël Cluzel à collaborer avec des compositeurs. Il avait écrit en 1964 le livret d’un oratorio pour Jacques Charpentier, La Croisade des Pastoureaux (commande de la RTF, édité par Leduc), en 1968 le livret de l’opéra de chambre Syllabaire pour Phèdre pour son vieil ami Maurice Ohana (texte publié dans le triple numéro de la Revue Musicale consacré à ce compositeur, en même temps qu’une suite de poèmes lui rendant hommage, Jeux de Portraits). Il écrira ensuite pour Pierre Ancelin l’argument du ballet Dissidanse, puis le livret de Filius Hominis. Enfin, Guy Sacre mettra en musique certains chants de son recueil de poèmes Le Chemin de Croix de Max Jacob (publié aux Éditions Richard-Masse).

Il a également publié d’autres recueils de poèmes : Tambour du cœur aux Éditions Richard-Masse, puis aux Éditions Séguier Cicatrices, qui obtint le Prix Jean Cocteau en 1992.

Pour le cinéma, au-delà de la réalisation du court-métrage sur Max Jacob, il a signé des dialogues de film, notamment ceux de Thomas l’imposteur d’après Cocteau pour Georges Franju, de La Modification d’après Michel Butor pour Michel Worms, et de Gandahar pour René Laloux.

Après la mort d’Henri Sauguet, Raphaël Cluzel poursuivit ses activités littéraires, ainsi que son travail « alimentaire » de rédacteur publicitaire, mais il se consacra avant tout, avec un dévouement inlassable et sans limite, à la tâche primordiale qu’il s’était donnée de faire connaître et rayonner l’œuvre du compositeur tant aimé. Il prépara la publication de ses mémoires, La Musique ma vie (Séguier 1990, réédition avec index en 2001), et participa toujours très activement au concours Sauguet annuel de Martigues. Outre la mise en œuvre de concerts et d’expositions, il fit des conférences et participa à des émissions de radio ayant pour thème « Jean Cocteau et Henri Sauguet », « Max Jacob et les musiciens », « Henri Sauguet et les poètes ».

Lorsqu’un accident vasculaire fulgurant le terrassa prématurément à 64 ans, il venait de terminer un texte pour le livret de l’édition, parue peu après chez Naxos, du coffret de disques réunissant les Quatre Symphonies. Il avait déménagé boulevard de Clichy pour être tout près du cimetière Montmartre, où est enterré Henri. C’est dans ce même cimetière qu’il repose aujourd’hui, non loin de la tombe de Stendhal, le troisième de ses auteurs préférés, prédilection témoignant là encore de sa profonde proximité d’âme avec le compositeur de La Chartreuse de Parme. □

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Recueils de poésies :

• Les arbres et les murs, Paris, Gizard, Osmose, collection Passage à niveau, 1952
• Le Chemin de croix de Max Jacob, Éditions Richard-Masse, 1983
• Tambour du cœur, Éditions Richard-Masse, 1985
• Cicatrices, Éditions Séguier, 1990. [Prix Jean-Cocteau, 1992]

Poèmes mis en musique :

• Le Chemin de croix de Max Jacob, Guy SACRE
• Mille-neuf-sentimental, chanson, Henri SAUGUET, 1979.
• Sept chansons de l’alchimiste, Henri SAUGUET, 1978, création à Paris, Salle Cortot, 1981.
• Musique pour Cendrars, pour baryton et alto, Henri SAUGUET, 1986
• Dans la maison de paix, Henri SAUGUET, 1987.

Livrets, arguments : 

• Croisade des pastouraux, oratorio pour 5 solistes, double chœur et 27 percussions. Création : 1964 – Direction Jacques Charpentier. France, Paris, Maison de la Radio.
• Syllabaire pour Phèdre, opéra de chambre en six épisodes d’après Hippolyte d’Euripide. Musique de Maurice OHANA (1966-1967). Dédicace à Marius Constant. Création : Paris, Théâtre de la musique-Gaîté-Lyrique , 5 février 1968, par les solistes, les chœurs et l’ensemble Ars nova de l’ORTF, sous la direction de Marius CONSTANT.
• La solitude, ballet de Henri SAUGUET, seconde version de 1979.
• Dissidanse, ballet, Pierre ANCELIN.
• L’arbre, ballet de Henri SAUGUET, 1981.
• Filius hominis, opéra-sacré en 10 tableaux de Pierre ANCELIN. Création à Rome, 1989.

Scénariste et dialoguiste :

• Thomas l’imposteur, Georges FRANJU, 1965.
• La Modification, Michel BUTOR & Michel WORMS, 1970.
• Le Revolver aux cheveux rouges, Denise & Frédéric GEILFUS, 1973.
• Gandahar, René LALOUX, 1988. 

Raphaël CLUZEL©Denise BOUCHET-KERVELLA

Dossiers

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Frisson, Recueil «Tambour du cœur»

Le chemin de croix de Max Jacob, suite de poèmes mis en musique par Guy Sacre
Il faisait plus froid qu’en décembre
c’était pourtant le lendemain du mercredi des cendres
les deux hommes ont crié c’est vous Jacob il faut descendre
et Cyprien Max Jacob fils d’Alexandre
qui devina à les entendre
qu’il n’avait plus rien à attendre
descendit
Le vent ce matin-là gelait à pierre fendre
le ciel avait son air ni dur ni tendre
et mettait sur les toits un peu de brume à pendre
le froid rien que le froid faisait trembler ses membres
dans sa poitrine un feu ne tarda pas à prendre
et l’on sait trop jusqu’où allait s’éteindre
l’incendie

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Tombeau de Claude Debussy, dédié à Maurice Ohana
Par la grâce de ton cri
la sagesse de ta rose
les abeilles de ta patience
le gel écrit au coin des vitres de nos rêves
Derrière le tain de ton miroir
dans les veines de ton marbre
sous l’écorce de ton bois
le secret de ton miel coule d’une blessure
Sans armes est ton royaume
Mesure est ton blason
Ordre ton livre et ton grimoire
Prête-nous la haute lice
la sangle
l’ombre blanche de ta démarche
la couleur de ton fil
et ton angle
et la juste forêt de ton arbre

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Un poème d’amour
Jamais chemise fut plus belle
que déchirée
par l’impatience retirée
hier au soir dans la ruelle
et ton ongle accroché à ce bouton rebelle
avouait comme tu m’aimais

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Souvenir d’enfance
Il aurait bien voulu courir jusqu’au champ juste derrière la ferme comme l’été d’avant, retrouver les chèvres et
leur obstination goulue à lécher le salpêtre du vieux mur, voir s’il est assez grand cette année pour sauter d’un
seul bond le ruisseau sans prendre appui sur la pierre du milieu, même si la vache intimidante le fixe de ses
doux yeux et paralyse son élan.
Dans quelques jours, demain, tout à l’heure, il pourra peut-être sortir, si cette pluie qui ne les quitte pas
depuis qu’ils ont fui la ville veut bien les abandonner un moment. Mais non. La flaque d’eau dans la cour n’a
cessé de grandir depuis qu’il s’est affalé ce matin, trempant sa culotte toute propre.
Décidément, c’était la journée: il fallut une troisième fois changer de vêtements, avec interdiction absolue de
sortir, après la chute dans la grange. Le sang giclait de son menton fendu. Sa mère le consolait, son père ne
lui reprochait rien, personne n’avait ri de son insigne maladresse. Qu’est-ce qu’ils avaient tous à garder le
silence, à fixer sans les voir les grosses gouttes qui glissaient le long de la porte vitrée. Il ne savait pas quel
mal semblait les accabler, mais il en apprit vite le nom, repris de bouche en bouche comme une fatalité
depuis la veille du départ: la débâcle.
Ce mot neuf s’usa en quelques jours, remplacé par celui d’exode, mot moins terrible sans doute puisqu’on
l’utilisa dès le retour du soleil.

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Souvenir d’adolescence, dédié à René Laloux, cinéaste d’animation auteur de La planète sauvage et de Gandahar (dont Raphaël écrivit les dialogues)

Ils enjambaient à quatre ou cinq
la chambre antichambre du ciel
et marchaient sur les toits de zinc
chauffés à blanc par le soleil
Leur vertige était un peu feint
mais feinte n’était pas leur faim
de passions et de prodiges
et prodigue jeunesse oblige
Ils se faisaient la courte échelle
pour escalader le destin

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Ode à Henri Poupard, petit organiste de quinze ans

Au sortir de la ville, dans le paysage tout de travers, dominant la colline que les bâtisses jetées en vrac chaque année rendent méconnaissable, alors que nous désespérions de notre route, elle a surgi belle et très humble, belle et telle qu’elle était dans ton enfance et sans doute tant de siècles auparavant, l’église du village.
Avec tes yeux d’adolescent tu contemplais le désastre alentour. Mais elle était intacte et le silence à l’intérieur était celui d’après l’office quand tu tirais de l’orgue maladif l’ultime accord dominical, vers tes quinze ans.
Moi, en te regardant, j’entreprenais l’improbable route inverse qui mène d’aujourd’hui jusqu’à l’ébauche de toi même.
Toi descendant, moi remontant, nous faisions pourtant route ensemble. Nos mains ne s’y sont pas trompées.