HAHN Reynaldo

Portrait de Reynaldo Hahn au piano, Lucie Lambert, 1907 © BNF

Reynaldo HAHN (1874-1947)

compositeur, chef d’orchestre, pianiste, chanteur, critique musical


« […] j’ai peu de mérite à me tenir tranquille, car je ne suis pas fait pour le gros travail des innovations.

Il y faut une fougue aveugle que je n’ai malheureusement jamais eue, un manque d’esprit philosophique qui, heureusement, ne fait pas partie de mes lacunes. Je ne puis me persuader que les artistes de choix soient faits pour des besognes de sapeurs, qui exigent du courage ou de la force et le goût de l’aventure. Je suis de l’espèce quiète, je fais partie des ‟profiteurs” − ceux qui viennent en second, et qui coordonnent… Mais comme Virgile et Mozart étaient de ceux-là, je n’en conçois aucune honte !! »

Reynaldo Hahn, lettre à Robert de Flers (archives de la famille Hahn), citée par Philippe Blay dans sa première communication « Une sorte de glacis qui doit tout recouvrir », Actes du Colloque de Venise de 2011, Reynaldo Hahn un éclectique en musique, sous la direction de Philippe Blay, Actes Sud/Palazzetto Bru Zane, 2015, p. 24.

 

« Rien de plus facile que d’écrire sur un musicien : sa musique parle tout à la fois pour lui et pour nous. Mais rien de plus malaisé que d’évoquer un enchanteur. Il nous quitte, il laisse derrière lui un sillage éblouissant, il emporte dans la tombe son secret. Nous qui l’avons connu et admiré voilà tout à coup que nous ne savons plus de quoi était fait son mirage. Ses prestiges, son art de faire de rien quelque chose, sa grâce, son esprit − tout cela nous échappe. Nous essayons de faire son portrait, nous nous y appliquons avec conscience. Le tableau achevé ne ressemble à personne. Nous contons ses bons mots : comme ce n’est plus lui qui les dit, ils ne font rire personne. Sa musique, ses livres, ses dessins, on les trouve démodés, on les juge avec un sourire. […] Et nous restons seuls, en face de nos souvenirs.
C’était si bon, pourtant, d’évoquer ses souvenirs, surtout quand ils sont exquis et heureux. Or, Reynaldo Hahn m’a laissé au cœur un sentiment d’admiration et de reconnaissance que les mots ne peuvent traduire exactement… »

Bernard Gavoty, Dans le souvenir de Reynaldo Hahn, Les Annales, février 1954.

« Une opérette, une poignée de mélodies, une liaison avec Marcel Proust qui appartient à l’histoire : voici ce que la postérité à longtemps retenu de Reynaldo Hahn, “musicien de la belle époque” comme l’a fâcheusement étiqueté un biographe trop bien attentionné. Or Reynaldo Hahn fut bien davantage qu’un troubadour des salons, semi-amateur qu’aujourd’hui encore on n’hésite pas à désigner par son simple prénom avec un rien de condescendance. Compositeur d’une vaste œuvre touchant pour ainsi dire à tous les genres, il possède un art infaillible de l’écriture musicale et surtout un merveilleux don mélodique qui donne à sa musique une “patte” qui la rend immédiatement identifiable… »

Par un beau soir d’été…, Jacques Tchamkerten, livret du disque Timpani, Divertissement pour une fête de nuit, Le Bal de Béatrice d’Este, Sérénade, Concerto Provençal.

« On l’a longtemps dévisagé, il était temps qu’on l’envisage. Ce mot bien connu, excessif quand Cocteau – Janus aux cents visages – se l’applique à lui-même, est exact quand il s’agit de Reynaldo. On le redécouvre, et chaque jour un peu plus. Plusieurs écueils nous séparaient de lui. Le premier, le plus malaisé peut-être à franchir, est celui de son époque, que l’on dit pourtant ‟belle”, mais dont peu de créateurs sont sortis indemnes : Proust ne l’a franchi avec succès qu’en l’immolant à son œuvre. L’adjectif ne l’a pas protégée : on n’a eu de cesse d’en moquer les modes, les tics, les préjugés, d’en caricaturer la comédie sociale, ou pis encore,  de la prendre de haut, avec je ne sais quel air protecteur et blasé. Aujourd’hui que la nôtre la dépasse en sottise et en mauvais goût, nous lui sommes plus cléments ; nos laideurs la font paraître innocente ; pour un peu, malgré ses fanfreluches et ses roses de boudoir, elle nous rafraîchirait.

Un autre écueil, de la musique de Reynaldo Hahn, est son refus de la modernité, sa constante référence à un passé musical obstinément promu en valeur absolue, tenu comme règle de goût et de conduite. Né quelques mois avant Ravel… il écrit comme Fauré (le premier !) […] Dans les jeunes années 1900, la ‟faute” était vénielle ; elle le fut beaucoup moins après Debussy… après Stravinski et le Groupe des Six (qu’il vouait au diable)… On ne l’écouta plus que d’une oreille ; et l’on se boucha les deux ensemble quand l’heure fut aux sériels et autres modernismes de tout poil. Mais là encore, notre époque est forcée à plus d’indulgence que les décennies précédentes ; les loups sont devenus moutons ; je crains même que telle ou telle des pièces contenues dans cet album ne paraisse trop complexe à nos répétitifs, et telle autre trop dissonante à nos nouveaux fanatiques de l’accord parfait…

L’heure de Hahn est sans doute venue, après un long purgatoire. Une chose encore aurait pu faire barrage, je le dis sans rire : son immense, son infatigable culture… »

Guy Sacre, extraits du texte intitulé Cet oiseau qui pleure, c’est moi…, livret du double album Timpani consacré par Billi Eidi au Rossignol éperdu de Reynaldo Hahn.

Marcel Proust évoquait ainsi les mélodies de son ami Reynaldo Hahn : « C’est à force de respect pour les paroles, qu’il les dépasse, c’est en s’asservissant à elles qu’il les plie à une vérité plus haute qu’elles contenaient en germe, mais dont la musique seule développera les virtualités. C’est au contact même du texte qu’il prend la force de s’élever plus haut que lui. »

Cité par Gérard Condé dans le livret de l’enregistrement des mélodies par Mady Mesplé accompagnée par Dalton Baldwin (disque EMI, 1989)

« Désormais dégagée du contexte de son temps, la musique de Reynaldo Hahn est entrée dans une intemporalité qui nous la rend intelligible en soi, en dehors des modes et des subversions esthétiques. C’est sûrement la situation qui s’accorde le mieux à cette œuvre, intrinsèquement classique, construite sans opposition à l’idiome coutumier, à côté du wagnérisme et du debussysme, tout en restant étanche à l’influence de Stravinsky ou de Satie. Sans avoir l’originalité de celles d’un Ravel ou d’un Poulenc, elle s’épanouit dans un syncrétisme capable de lier ensemble une trame Renaissance et une texture romantique, tout en conservant pureté et équilibre. D’où la prodigieuse plasticité générique de cette musique, habile à de multiples figures, et sa capacité à conserver le même niveau de langue quel que soit le milieu qu’elle dessine.

[…] Ce ‟jaillissement nouveau” n’a pas créé un monde sonore insolite, mais il nous a donné à entendre les ‟particularités cachées” d’un poète. »

Philippe Blay dans sa première communication « Une sorte de glacis qui doit tout recouvrir », Actes du Colloque de Venise de 2011, Reynaldo Hahn un éclectique en musique, sous sa direction, Actes Sud/Palazzetto Bru Zane, 2015, p. 34 & 35.


 

Dossiers

Au revoir à Daniel de Vengohechea

Lionel Pons
Marseille, 29 Juin 2009

Daniel de Vengohechea vient de nous quitter, à la fois avec discrétion et avec panache, comme il faisait toute chose, comme il était et ne pourra cesser d’être. Petit neveu de Reynaldo Hahn et président de l’Association des Amis et Admirateurs de Reynaldo Hahn (créée en 1947), il avait choisi, depuis sa mise à la retraite, de se consacrer entièrement à la reconnaissance et à la diffusion de ce grand-oncle en qui il refusait (et comme il avait raison !) de ne voir qu’un petit maître de la Belle Époque ou le pourvoyeur des salons musicaux du début du XXe siècle en aimables mélodies.

Mélomane sensible et curieux, je l’ai toujours connu s’enthousiasmant pour des œuvres nouvelles ou anciennes, animé de cette curiosité insatiable qui le poussait toujours à la rencontre des oeuvres, des compositeurs et des interprètes. Bien que n’étant pas issu du milieu musical, il avait la persévérance et l’obstination qui peuvent abattre les montagnes. L’oeuvre accomplie en douze années est considérable. La musique concertante (Concerto pour pianoConcerto pour violon), la musique de chambre, un certain nombre de transcriptions dues aux plus grands instrumentistes, des mélodies ont bénéficié grâce à son énergie d’une redécouverte appuyée par de nombreux concerts et par la parution de CD que la critique et le public ont accueilli plus que chaleureusement. Les rééditions de partitions, grâce au soutien des Éditions Leduc, nous permettent aujourd’hui un accès aisé à des musiques encore reléguées, voici vingt ans, dans l’obscurité de nos mémoires.

Daniel était un homme d’enthousiasme, de ténacité, mais aussi un être exquis, de ceux (et ils sont si rares) qui savent goûter la joie d’une amitié partagée. Nous nous étions connus suite à une lettre que j’avais adressée à la SACEM à l’attention des descendants du compositeur, et j’ai encore en mémoire l’appel téléphonique plein de chaleur humaine que nous avions alors échangé, prélude à une amitié que les années n’ont pas entamée. Combien j’ai du mal, en écrivant ces lignes, à admettre que je n’entendrai plus cette voix sonore, reconnaissable entre toutes, me lancer au téléphone ce « Mon cher Lionel ! » qui signait toujours le début de longues conversations pendant lesquelles l’horloge n’avait plus d’importance.

Lui avait entrevu avant tous que le compositeur de Si mes vers avaient des ailes était aussi celui de la Pastorale de Noël ou du Marchand de Venise, et que nous étions bien injustes de ne voir en lui que le parangon des musiciens de salon. Avec la force tranquille des enfants, qui seuls savent accorder la réalité à leurs rêves les plus chers, Daniel a oeuvré pour faire connaître et reconnaître cette musique. Esprit curieux, friand de concerts auxquels il pestait, ces dernières années, de ne pouvoir se rendre aussi souvent qu’il le souhaitait, aimant se faire rencontrer les gens, chaleureux et élégant comme on ne sait plus guère l’être, conservant une inaltérable foi en la jeunesse, soucieux uniquement de mettre la musique en avant au lieu de l’utiliser comme faire-valoir, tel est demeuré Daniel jusqu’à ses ultimes moments.

Les êtres humains ne nous quittent que lorsque nous le voulons bien, lorsque nous laissons tristement le temps faire son oeuvre d’oubli. Aussi, cher Daniel, vous ne nous avez pas quittés. Votre oeuvre demeure, votre épouse Éva la poursuit avec toute sa force d’engagement (car beaucoup reste à faire dans les domaines symphoniques et lyriques), et votre affection continue de nous accompagner, de nous aider à croire à demain, comme vous n’avez pas cessé de le faire, par la musique et par le cœur. □


Daniel de Vengochechea

Baudime JAM
6 juillet 2009

 

Je viens d’apprendre, par l’entremise des Amis de la musique française, la disparition de Daniel de Vengohechea.

Quel choc et quelle tristesse.

J’avais fait sa connaissance il y a quelques années alors que nous avions décidé d’inscrire à notre répertoire le Deuxième quatuor à cordes de Reynaldo Hahn qui est une fort belle page de musique de chambre. Nous nous étions ensuite rencontrés à Paris lors d’un concert que nous avions donné à la chapelle du Lycée Henri IV, en mai 2007.

Nous ne connaissions donc Daniel que depuis peu, mais nous avions immédiatement ressenti la générosité et la chaleur de cet homme : nos échanges étaient toujours une source de réconfort car il avait ce don précieux de savoir donner confiance et d’encourager à bon escient. Les (trop) rares fois où nous avons pu parler ensemble, surtout au téléphone, je savais que nous allions prendre le temps d’avoir une véritable discussion : il ne s’agissait pas, comme si souvent dans notre monde de vitesse, d’échanger des informations, mais de savourer un moment de partage avec un homme passionné et passionnant. Je n’oublierai pas sa voix enjouée et puissante : comme je regrette de ne l’avoir pas connu davantage…

Quand je lis l’hommage écrit par Lionel Pons, mes intuitions se trouvent confirmées. De toute évidence, Daniel était un homme d’une vaste culture, mais de cette culture qui ne s’enferme pas dans les mondanités ou le pédantisme : c’était une culture vivante et en action. Ce qu’il a réalisé pour faire vivre la mémoire et l’oeuvre de son grand-oncle est inestimable. Au lieu de l’écrire au passé, je sais que nous pouvons l’écrire au présent et au futur : son action et sa mémoire sont bien vivantes, même auprès de ceux qui, comme nous, ne l’ont connu que brièvement mais sur lesquels il a fait une très forte impression.

Daniel nous avait invités, mon épouse et moi-même, à venir dîner chez lui lors de notre dernier concert à Paris (c’était le 9 juin), mais au dernier moment il avait dû annuler cette invitation en raison de ses soucis de santé. Nous lui avions écrit à notre retour mais l’absence de réponse, lui qui était si sociable et d’une exquise courtoisie, nous avait inquiétés.

Le voilà maintenant parti.
Nous restons encore un peu. ◊
 

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Reynaldo Hahn, un éclectique en musique

Palazzetto Bru Zane

Mercredi 11 et jeudi 12 mai 2011

 

 Mercredi 11 mai 2011

 

9h00 : Accueil des participants et visite du Palazzetto Bru Zane

9h30 : Avant-propos par Éva de Vengohechea

 

  • Musique littéraire (présidence de Philippe Blay)
10h00 : « Proust et Massenet : à l’ombre de Reynaldo Hahn » (Jean-Christophe Branger, université Jean-Monet, Saint- Étienne)
10h30 : « “Comme un dieu déguisé qu’aucun mortel ne reconnaît” : Marcel Proust et Reynaldo Hahn » (Luc Fraisse, université de Strasbourg)
11h00 : Discussion
11h10 : Pause
11h30 : « Reynaldo Hahn diariste » (Nicolas Vardon, doctorant, université de Paris IV-Sorbonne) 12h00 : « Hahn critique musical » (Vincent Giroud, université de Franche-Comté, Besançon)
12h30 : Discussion

 

  • Du salon au palais Garnier (présidence de Vincent Giroud)
14h30 : « “Il ne s’adresse qu’aux gens du monde” : Reynaldo Hahn et la société parisienne de la Belle Époque » (Myriam Chimènes, C.N.R.S., Paris)
15h00 : « Hahn et la Grande Guerre » (Stéphan Etcharry, université de Reims)
15h30 : Discussion
15h40 : Pause
16h00 : « Reynaldo Hahn directeur de l’Opéra à la Libération » (Aurélien Poidevin, Paris VIII)
16h30 : Discussion

 

Jeudi 12 mai 2011

 

  • Thèmes variés (présidence de Myriam Chimènes)
10h00 : « Hahn et la danse » (Christophe Mirambeau, Universal Music Publishing Group, Paris)
10h30 : « Reynaldo Hahn et l’oratorio : de Prométhée triomphant à La Reine de Sheba » (Jacques Tchamkerten, Conservatoire de Genève)
11h00 : Discussion
11h10 : Pause
11h30 : « Le Rossignol éperdu, entre recueil poétique et journal intime » (Emmanuel Reibel, université de Paris Ouest Nanterre La Défense)
12h00 : « La musique de chambre de Reynaldo Hahn comme miroir de son style » (Lionel Pons, C.R.R. de Marseille)
12h30 : Discussion

 

  • Du chant (présidence de Jean-Christophe Branger)
14h30 : « Les mélodies de Reynaldo Hahn : de l’élégance à l’épure » (Sylvain Paul Labartette, doctorant, université de Paris IV-Sorbonne)
15h00 : « “Affronter l’opéra avec une grande oeuvre” : Le Marchand de Venise de Reynaldo Hahn » (Philippe Blay, Bibliothèque nationale de France, Paris)
15h30 : Discussion
15h40 : Pause
16h00 : « Hahn et le chant français » (Gérard Condé, Paris)
16h30 : Conclusion par Philippe Blay

 

   
 
   
   

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